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« En compagnie de Marc Mauillon » au 20ème Festival Jeunes Talents – Moisson poétique
Par-delà les époques et les styles, la musique est une pour Marc Mauillon dont on connaît le goût pour des programmes variés qui traversent les siècles – en soliste, il nous en a offert un bel exemple avec le disque « Songline, intinéraire monodique » (1), étonnant voyage du Moyen Âge à la période contemporaine.
Marc Mauillon © Inanis
La soirée qu’il partage avec Marianne Croux, Victoire Bunel, Jean-Christophe Lanièce et Guillaume Vincent au piano dans le cadre du 20ème Festival Jeunes Talents relève de la même démarche, le thème de poésie française ancienne inspirant un programme réparti sur cinq siècles. «Un rêve qui se réalise », confie Mauillon au cours de la présentation du concert, heureux d’avoir pu entraîner trois jeunes collègues dans un univers musical extrêmement diversifié – preuve à ses yeux que les mentalités et l’ouverture d’esprit des interprètes ont considérablement évolué depuis une trentaine d’années.
Quelques Chansons et madrigaux de Reynaldo Hahn (donnés a cappella) servent de fil rouge et soulignent dans tous les cas la parfaite complémentarité des timbres et l’équilibre entre les protagonistes (d’autant plus remarquable que ces morceaux furent originellement destinées à un chœur à 4 ou 3 voix, avec ou sans piano.) Témoignage d’un passé musical fantasmé par l’auteur de L’Île du rêve, ces pages jalonnent un programme d’une fluidité parfaite, au cours duquel chacune des individualités vocales trouve aussi à s’exprimer dans des œuvres connues ou plus rares.
de g à dr. : Guillaume Vincent, Marianne Croux, Victoire Bunel, Marc Mauillon, Jean-Christophe Lanièce © Xavier Delfosse
Après le Tant que vivray (à 4) de Sermisy placé en ouverture, Jean-Christophe Lanièce – dont les habitués de l’Académie Orsay-Royaumont savent les affinités avec l’univers de la mélodie – offre les Trois Chansons de France de Debussy, triptyque que sa rondeur de timbre et sa diction très claire lui permettent de caractériser avec art (mention spéciale pour une très prégnante Grotte). Au fil du programme on n'est pas moins séduit, de la part du baryton, par A Chloris de Hahn, et, plus encore, Ronsard à son âme de Ravel et Priez pour la paix de Poulenc, servis avec un profonde intelligence poétique et – la remarque vaut d’ailleurs pour toute les pièces avec accompagnement de la soirée – un piano complice et foisonnant de timbres.
Musicien curieux à l’affût de partitions oubliées, Mauillon a retenu six des Sept chansons de Clément Marot (1907-1908) de Georges Enesco. Ce petit chef-d’œuvre de la mélodie revient à Marianne Croux, qui s’en délecte avec une grande variété expressive, du ton mutin d’Aux damoyselles paresseuses jusqu’à la douleur secrète de Du confict en douleur.
Côté raretés on ne cède pas moins au charme de deux mélodies de Pauline Viardot (Aimez-moi, Vous parlez mal de mon amy), servies avec tact par Victoire Bunel. Le riche timbre et la présence poétique de la mezzo ne convaincront pas moins dans les Deux épigrammes de Clément Marot de Ravel, A sa guitare de Poulenc ou encore, incursion bienvenue dans un récent XXe siècle, une des Monomanies (1991) d’Aperghis.
Marc Mauillon a eu la grande élégance de beaucoup laisser la place à ses jeunes collègues pour les pièces en solo, mais on aura toutefois eu le bonheur de le retrouver dans Quand je fus pris au pavillon d’un Charles d’Orléans mis en musique par un anonyme du XVe siècle, magiquement enchaîné avec le même poème servi par Reynaldo Hahn en 1899. Et quel pur délice que de l’entendre dans les Chansons gaillardes de Poulenc qu'il croque avec une gourmandise, un esprit et une malléabilité vocale tout simplement irrésistibles.
Une création de Michel Bosc (né en 1963) figurait aussi au programme : deux mélodies sur des vers de Charles d’Orléans (Dedans mon Livre de Pensée, En la forêt de Longue Attente), parfaitement dans la couleur générale de la soirée, que Marc Mauillon et Jean-Christophe Lanièce sont partagé avec une belle sensibilité.
Guillaume Vincent © guillaumevincent.net
On n’oublie pas enfin, au cœur du programme, l’opportune respiration pianistique offerte par les Epigraphes antiques de Claude Debussy, des pièces tardives (1914 pour la version initiale à 4 mains, 1915 pour la mouture piano solo, de la main du compositeur) que Guillaume Vincent a explorées avec une immense palette sonore et un force évocatrice toujours en éveil.
Un programme d’une cohérence parfaite, véritable moisson poétique, qui mériterait de trouver un prolongement au disque.
Alain Cochard
Paris, cathédrale Sainte-Croix-des-Arméniens, 8 juillet 2020
20ème Festival Jeunes Talents, jusqu’au 25 juillet : www.jeunes-talents.org/
Photo © Xavier Delfosse
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