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Esa-Pekka Salonen, Lukas Geniušas et l’Orchestre de Paris – Citron pressé – Compte-rendu
Esa-Pekka Salonen, Lukas Geniušas et l’Orchestre de Paris – Citron pressé – Compte-rendu
Dans l’impossibilité de venir diriger l’Orchestre de Paris, en raison de la méchante actualité, le prestigieux Tugan Sokhiev(1) était remplacé par le non moins prestigieux Esa-Pekka Salonen : estrade de luxe, car sur la planète chefs, peu jouissent comme lui de l’auréole sacralisée qui entoure les baguettes des quelques grands contemporains, les Rattle, Gergiev, Barenboim et autre Noseda. Esa-Pekka Salonen (photo), donc, 68 ans, allure de jeune homme et tempérament de battant tout autant que penseur, puisqu’à son agressive baguette, il ajoute un intense travail de composition. Et l’un des plus étranges des grands chefs : avec les autres sus-nommés, on a généralement une idée du style, de la vision qu’ils vont faire partager, hormis les aléas du moment. Avec Salonen, le pire est toujours tapi derrière le meilleur, ou l’inverse. Ici, on a eu un peu des deux !
Pauvre Ravel, fin, caustique, malin, aristocratique, pointu, mais jamais brutal, vestige de ce qu’il subsiste d’un certain esprit français : pour le Tombeau de Couperin, œuvre subtile et ambiguë où compositeur semble dire adieu à la musique romantique, Salonen, lui, adopte l’attitude d’une sorte de redresseur de torts, lance les machines comme un clap de cinéma, fait claquer les percussions avec une violence dont l’expressivité semble inutile, quand elle ne paraît pas gratuite. Bien sûr, même si les épisodes du Tombeau sont contrastés et parfois poétiques, on ne s’attend guère à y voir des nymphes onduler à l’antique ou des bergères sautiller, mais de là à les remplacer par des trolls! Rapidissime, sec, tracé comme du Boulez dans ses plus dures exigences, on oubliait que Ravel avait du charme pour simplement constater la netteté chirurgicale des plans sonores, la sécheresse agressive des rythmes, assénés comme une revanche envers un monde qui oserait parfois rêver.
Pauvre Ravel, fin, caustique, malin, aristocratique, pointu, mais jamais brutal, vestige de ce qu’il subsiste d’un certain esprit français : pour le Tombeau de Couperin, œuvre subtile et ambiguë où compositeur semble dire adieu à la musique romantique, Salonen, lui, adopte l’attitude d’une sorte de redresseur de torts, lance les machines comme un clap de cinéma, fait claquer les percussions avec une violence dont l’expressivité semble inutile, quand elle ne paraît pas gratuite. Bien sûr, même si les épisodes du Tombeau sont contrastés et parfois poétiques, on ne s’attend guère à y voir des nymphes onduler à l’antique ou des bergères sautiller, mais de là à les remplacer par des trolls! Rapidissime, sec, tracé comme du Boulez dans ses plus dures exigences, on oubliait que Ravel avait du charme pour simplement constater la netteté chirurgicale des plans sonores, la sécheresse agressive des rythmes, assénés comme une revanche envers un monde qui oserait parfois rêver.
Lukas Geniušas © Kzihnioglu
Pour le Concerto en sol, arrivée d’un pianiste qui commence à jouir d’une solide réputation, le russo-lituanien Lukas Geniušas (né en 1990) : formation moscovite et palmarès flatteur, puisqu’il remporta notamment un 2e Prix du Concours Chopin à Varsovie (2010) et au Tchaïkovski à Moscou (2015). Et là, étrange conflit, car le pianiste, un rien ampoulé ou maniéré, malgré une virtuosité indiscutable, n’était lui non plus pas sur la planète rayonnante du Concerto, joyau ravélien par sa lumière et ses sauts à l’élastique. D’autant que ses effets sophistiqués sonnaient aux antipodes de la terrible gestique de Salonen, lequel imposait là, comme pour le Tombeau de Couperin, un Ravel dur, desséché plus que nerveux, voire essoufflé.
Un mélange qui laissait craindre pour la suite, consacrée au Roméo et Juliette de Prokofiev, malgré la vitalité de l’Orchestre de Paris, sorti en beauté des vides de la période de confinement avec le fouet à neuf queues du chef finlandais. On se disait que les pauvres Roméo et Juliette n’auraient sans doute pas droit à une scène du balcon digne de leur amour, et que Prokofiev, qui a du répondant en matière de sarcasme, paraîtrait ici sous son jour le plus provocant. Il n’en fut rien, car la Suite, arrangée par Salonen à partir des Trois laissées par Prokofiev, déroula un ensorcelant jeu de courbes et de déliés d’un superbe lyrisme, entrecoupé des coups de boutoir des moments clefs du drame et de quelques passages délicatement ciselés comme dans du cristal, notamment l’Aubade. Emotion, grandeur, passion, le chef s’humanisait face à cette fresque brûlante. En fait, Salonen n’est jamais aussi grand que lorsqu’il est face à une partition qui lui résiste. S’il a croqué le fin Ravel comme un macaron, Prokofiev lui offrait un terrain d’action beaucoup plus robuste. Et l’on se souvient que sa direction d’un certain Tristan et Isolde à l’Opéra Bastille fut un miracle resté dans les annales. Il n’avait pas pu se défaire de Wagner en quelques coups de baguette et d’humeur acide. Les deux visages de cet étrange Janus…
Jacqueline Thuilleux
Un mélange qui laissait craindre pour la suite, consacrée au Roméo et Juliette de Prokofiev, malgré la vitalité de l’Orchestre de Paris, sorti en beauté des vides de la période de confinement avec le fouet à neuf queues du chef finlandais. On se disait que les pauvres Roméo et Juliette n’auraient sans doute pas droit à une scène du balcon digne de leur amour, et que Prokofiev, qui a du répondant en matière de sarcasme, paraîtrait ici sous son jour le plus provocant. Il n’en fut rien, car la Suite, arrangée par Salonen à partir des Trois laissées par Prokofiev, déroula un ensorcelant jeu de courbes et de déliés d’un superbe lyrisme, entrecoupé des coups de boutoir des moments clefs du drame et de quelques passages délicatement ciselés comme dans du cristal, notamment l’Aubade. Emotion, grandeur, passion, le chef s’humanisait face à cette fresque brûlante. En fait, Salonen n’est jamais aussi grand que lorsqu’il est face à une partition qui lui résiste. S’il a croqué le fin Ravel comme un macaron, Prokofiev lui offrait un terrain d’action beaucoup plus robuste. Et l’on se souvient que sa direction d’un certain Tristan et Isolde à l’Opéra Bastille fut un miracle resté dans les annales. Il n’avait pas pu se défaire de Wagner en quelques coups de baguette et d’humeur acide. Les deux visages de cet étrange Janus…
Jacqueline Thuilleux
(1) Tugan Sokhiev sera de retour à l’Orchestre de Paris les 18 et 19 octobre prochains, dans une programme associant le Concerto pour piano de Schumann (avec Jean-Frédéric Neuburger) et la Suite du Lac des Cygnes (version Sokhiev) // bit.ly/3j6n4KW
Philharmonie de Paris, Orchestre de Paris, le 23 septembre 2020
Photo © Minna Hatinen – Finnish National Opera and Ballet
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