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La Maîtrise Notre-Dame de Paris ouvre sa saison à Saint-Eustache – Le concert ou la formation en pratique – Compte-rendu
Si rien n'est plus tout à fait comme avant pour la Maîtrise Notre-Dame de Paris, depuis l'incendie de la cathédrale mais aussi le licenciement de cinq enseignants qui en est résulté – dont Sylvain Dieudonné, talentueux responsable, de longue date, des musiques médiévales et du grégorien à la cathédrale –, licenciement qui a suscité une vive vague de protestation (1), la mission fondamentale de la prestigieuse institution est préservée : la formation des jeunes chanteurs et sa mise en pratique sur le vif et en temps réel, le concert. Par la force des choses hors les murs, avec toutefois le bénéfice d'acoustiques différenciées.
Comme la saison dernière, c'est Saint-Eustache qui a accueilli le concert inaugural de la programmation 2020-2021, devant un public aussi nombreux que les contingences le permettaient. Concert et saison dont la préparation a été inévitablement compliquée par la pandémie, la base même d'une formation chorale, le collectif, n'ayant plus été possible six mois durant. Seuls les écrans additionnés avaient permis de communiquer et de poursuivre l'étude, autrement. Cette reprise de contact entre chanteurs eux-mêmes et avec le public était ardemment espérée.
C'est dans la ferveur que l'événement a été célébré par les trois formations de la Maîtrise, d'une fascinante fraîcheur inlassablement réinventée par le renouvellement constant de ses membres, sereine et intemporelle immuabilité : Chœur d'enfants dirigé par Émilie Fleury, Jeune Ensemble, Chœur d'adultes, tous placés sous la direction d'Henri Chalet (photo), d'une empathie envers ses musiciens traduisant on ne peut mieux le bonheur retrouvé de la musique partagée, tous naturellement portés par Yves Castagnet à la console de nef du grand orgue Van den Heuvel de Saint-Eustache (2).
D'une tonique diversité, ce programme inaugural se fit le reflet d'une constante de l'enseignement maîtrisien, véritable école de la faculté d'adaptation : d'une époque, d'une esthétique, d'une langue à l'autre. De nouveau la spatialisation des effectifs apporta, sobrement, la vivante dimension du mouvement sonore prisée des concerts de la Maîtrise. À commencer par le Bach initial, populaire Choral du veilleur du recueil Schübler : à l'orgue l'œuvre telle que transcrite par Bach, à l'exception du cantus confié aux voix depuis le bas-côté, puis le chœur proprement dit Wachet auf, ruft uns die Stimme qui ouvre la Cantate BWV 140, une partie d'orgue obligé d'envergure sous-tendant l'adaptation de cette seconde page d'introduction de la soirée. S'ensuivit, précieux contraste, la Missa octo vocum de Hans Leo Hassler : un autre équilibre, donnant la priorité à la polyphonie vocale entre esprit de la Renaissance italienne et prémices du baroque allemand, l'accompagnement d'orgue se faisant des plus discrets dans cette œuvre vivifiante et richement colorée en termes de pupitres vocaux.
Le Chœur d'enfants de la Maîtrise Notre-Dame © Emma David
Le Chœur d'enfants fit son entrée dans le O sacrum convivium de Jean-Charles Gandrille (3), dont la Maîtrise a inscrit à son répertoire plusieurs œuvres, celle-ci étant bien ancrée, à sa manière souplement personnelle, dans la tradition française (de Théodore Dubois ou Déodat de Séverac au motet pour le saint sacrement du jeune Messiaen) : page brève, délicieusement fluide, aérienne, composée pour un chœur d'enfants et créée, sous la direction d'Émilie Fleury, en mai 2015 au Festival d’Auvers-sur-Oise par ceux de la Maîtrise.
L'un des piliers de son répertoire, Benjamin Britten, fit suite avec le Psaume 150, O praise God in His holiness, pièce vive et légère, presque pimpante dans l'interprétation du Chœur d'enfants, avec une belle et solide partie d'orgue d'introduction. Retour à la Renaissance avec le Dum esset Rex à double chœur de Paolo Agostini, concis et joyeux, puis au temps présent avec en création mondiale un Regina caeli de Lise Borel (née en 1993), présente et fêtée par un public conquis : splendide construction a cappella en chœurs multiples et superposés de voix de femmes, d'une poésie diaphane, enchanteresse. Temps présent toujours avec l'une des dernières polyphonies chantées à Notre-Dame avant l'incendie du 15 avril 2019, également pour voix de femmes : étonnant Stabat Mater (2014) de Jean-Charles Gandrille, vif et d'un seul tenant, sur une « guirlande » (aurait dit Tournemire) redoutable et ininterrompue de l'orgue. Lui-même excellent organiste et titulaire depuis 2007 de l'orgue Bernard Hurvy de Notre-Dame d'Auvers-sur-Oise, le compositeur rendit aussitôt hommage à Yves Castagnet pour l'accompagnement de son œuvre.
Le chœur mixte se fit de nouveau entendre dans le motet Der Gerechte kommt um de Bach (sans BWV), d'après le Motetto a 5 voci Tristis est anima mea de Johann Kuhnau, son prédécesseur à Leipzig, dont le ton puissamment dramatique avait infiniment séduit lors du concert inaugural de l'année dernière (4), et de nouveau cette année. Enchaînement sans hiatus sur la chaleureuse Messe brève d'Yves Castagnet (5) : sa première composition et sa première œuvre liturgique, avec accompagnement d'orgue seul – à la différence de sa Messe « Salve Regina » pour chœur, soli et deux orgues, elle-même devenue partie intégrante du répertoire de la Maîtrise, qui l'a enregistrée en 2007 (Hortus 056). S'ouvrant sur une tonalité d'un tragique étonnamment dynamique, exigeant des sopranos dans le Gloria des attaques joliment téméraires ici pleinement assumées, cette Messe brève témoigne de part en part d'une manière lumineusement musicale d'évoquer les mystères. C'est avec cette même formation chorale que le concert se referma : charme inépuisable du Cantique de Jean Racine du jeune Gabriel Fauré, avec enfin les voix d'hommes à découvert, au tout début de cette page d'un lyrisme si prenant, avant d'entendre l'ensemble des chanteurs à pleines voix.
Le prochain concert de la Maîtrise : Concert des Vigiles – Le Murmure de l'Âme, aura lieu le 13 novembre à Saint-Étienne-du-Mont, en ouverture du Festival des Heures du Collège des Bernardins (6) : au Chœur d'adultes dirigé par Henri Chalet s'associera Thierry Escaich au grand orgue. Couvre-feu oblige, l'horaire en est modifié, mais insuffisamment, en raison d'une messe non déplacée : dans la mesure où le concert débutera à 19 h 30, il est probable que seuls les résidents de la Montagne Sainte-Geneviève auront le privilège de pouvoir y assister. Dommage !
Michel Roubinet
Paris, église Saint-Eustache, 6 octobre 2020
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/boutique/concert/concerts-2020/concert-de-rentree-castagnet-faure-gandrille/
Site Internet
Prochains concerts de la Maîtrise Notre-Dame de Paris
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/categorie/concert/concerts-2020/?mm=11
(1) La Croix : « Faute d'argent, la maîtrise de Notre-Dame de Paris licencie »
www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/Faute-dargent-maitrise-Notre-Dame-Paris-licencie-2019-12-18-1201067287
(2) Grand orgue Van den Heuvel de Saint-Eustache
www.saint-eustache.org/musique-a-st-eustache/orgue/
www.saint-eustache.org/wp-content/uploads/2019/01/Descriptif-de-linstrument-.pdf
(3) Jean-Charles Gandrille
www.jeancharlesgandrille.com
(4) www.concertclassic.com/article/la-maitrise-notre-dame-de-paris-saint-eustache-maintien-de-la-mission-pedagogique-et
(5) Messe brève et Messe « Salve Regina » d'Yves Castagnet
symetrie.com/fr/titres/castagnet-messe-breve
symetrie.com/fr/titres/messe-salve-regina
(6) www.collegedesbernardins.fr/art-et-culture/festival-des-heures-2020
Photo © Leonard de Serres
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