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Aci, Galatea e Polifemo de Haendel au Teatro Municipale di Piacenza (Streaming) – Sérénade pour Senesino – Compte-rendu
Par chance, l’Italie possède aussi, depuis plusieurs décennies, ses propres ensembles spécialisés dans la musique ancienne, qui prennent désormais la défense de leur patrimoine. Les résurrections musicologiques ne sont plus l’apanage des Anglo-saxons ou du reste de l’Europe, et c’est ainsi que le théâtre de Piacenza proposait la « première exécution moderne » d’une version d’Aci, Galatea a Polifemo dite « pour Senesino ». Ce travail de reconstitution s’appuie sur le manuscrit Egerton conservé à la British Library, mais en l’absence de plus amples informations, il est permis de s’interroger sur les choix opéras pour cette édition critique : il s’agit bien de la cantate italienne et non de l’opéra anglais, mais c’est dans la version bilingue de 1732 que Senesino chantait le rôle d’Acis, mais l’œuvre était alors beaucoup plus étoffée, avec chœurs et personnages secondaires. L’imagination aurait-elle été au pouvoir ? Cela paraît d’autant plus vraisemblable que la représentation s’ouvre non pas sur un duo entre les deux amants, comme dans tous les enregistrements disponibles, mais sur un air de Polyphème…
Force est donc de faire confiance au triumvirat responsable de cette version, le musicologue Fabrizio Longo, le contre-ténor Raffaele Pe et le chef et claveciniste Luca Guglielmi. Et l’on ne boudera pas son plaisir devant cette captation réalisée sans public, mi-novembre, car elle est de fort belle venue. L’ensemble La Lira di Orfeo, fondé il y a quelques années par Raffaele Pe, est une formation séduisante, aux couleurs savoureuses, qui sait rendre justice au génie du tout jeune Haendel. Le spectacle est à la fois d’une sobriété appréciable et d’une inventivité remarquable : le décor se réduit à trois grands écrans, deux à l’arrière-plan, un en guise de sol prolongeant le plateau, sur lesquels sont projetées des vidéos qui réussissent à illustrer le propos sans jamais être ridicules ou gratuites (le seul moment d’un goût douteux est l’organe sanguinolent qui apparaît lors de la mort d’Acis, quand celui évoque le ralentissement de son cœur). Alors que la silhouette des amants évoque vaguement les années 1900, le géant renvoie plutôt vers l’autre extrémité du XXe siècle, dans le style Terminator, avec son look de guerrier un peu abîmé par les combats, mais pour une fois, Polyphème n’est pas ridicule. C’est plutôt Acis dont les efforts semblent dérisoires, lorsqu’il enfile des gants de boxe pour affronter un adversaire invincible.
La distribution n’est pas moins enthousiasmante. Raffaele Pe est le plus délicat des bergers amoureux, et la plainte lui sied à merveille, plus peut-être que la hardiesse, mais la mise en scène rend cela d’autant plus acceptable qu’Acis n’est ici guère crédible en combattant. Révélée en Aristée dans l’Orfeo de Rossi à Nancy, Giuseppina Bridelli poursuit son beau parcours avec une Galathée musclée sans être matrone, comme c’est parfois le cas lorsque le rôle est confié à des mezzos à la voix trop mûre. Pourtant, c’est Polyphème qui retient ici surtout l’attention : Andrea Mastroni est impressionnant, en particulier dans le grand air « Fra l’ombre e gl’orrori » où il déploie des graves renversants et s’autorise plusieurs aigus en voix de tête, pour un personnage bien moins unidimensionnel qu’on ne le montre en général. Si tout va bien, il retrouvera le rôle en avril prochain à Lyon, pour un concert à ne pas manquer.
Laurent Bury
© Teatro Municipale di Piacenza
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