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Karol Mossakowski à l’orgue de Radio France – Epanouissement et chaleureuse aisance – Compte-rendu
Bienheureux les concerts de Radio France qui en toutes circonstances conservent leur raison d'être, mission de service public oblige, ne serait-ce que pour nourrir l'antenne de France Musique. Inaugurée par Thierry Escaich suivi d'Aude Heurtematte, tous deux avec public, la saison d'orgue de l'Auditorium ne pouvait manquer d'offrir un festif concert de Noël, confié à l'organiste en résidence du Grenzing : Karol Mossakowski. Concert sans public donné le 22 décembre à 18h30 et retransmis dans la foulée, à 20 heures et présenté par Clément Rochefort, l'interprète étant convié à commenter à chaud son récital. Ce concert a également été filmé : on peut donc l'écouter et le visionner à loisir (1).
Chaque nouvelle prestation de Karol Mossakowski à Radio France témoigne indéniablement d'une prise de confiance et d'un épanouissement du musicien. Ce que confirme sa chaleureuse aisance sur diverses vidéos proposées par le site de France Musique, qu'il s'agisse de la présentation enjouée du programme de ce concert de Noël, de l'explication de la machine orgue ou du portrait du musicien (2). Cet épanouissement et ses responsabilités d'organiste en résidence permettent aujourd'hui au musicien de répondre dans un équilibre toujours plus affirmé à l'instrumentiste de talent apprécié depuis ses débuts à l'Auditorium. L'une de ses qualités premières tient à l'extrême et très musicale lisibilité de ses interprétations, ainsi dès la première œuvre de son programme de Noël : les Variations de la Symphonie n°5 de Widor, à mi-chemin entre esprit chambriste, valorisé par l'acoustique boisée de la salle, et grand orgue symphonique – jamais d'effets, mais une approche puissamment structurée magnifiant le détail de chaque section, leurs enchaînements et leurs timbres judicieusement choisis.
Noël à l'orgue rime souvent avec pastorale : celle de Bach, l'esprit et l'esthétique si divers de ses quatre mouvements s'y trouvant individualisés par un toucher et une articulation poétiquement pensés et projetés, puis celle de Franck mirent en lumière les puissants contrastes de couleurs et d'espaces dont le Grenzing est capable, avant de passer à tout autre chose, avec un même « naturel ». Tchaïkovski se plaît à l'orgue, ainsi que diverses transcriptions l'ont montré. Pour Noël, rien de plus indiqué que Casse-Noisette, dont Karol Mossakowski propose quatre pages dans sa propre transcription (il s'en explique dans le programme de salle, 3), inspirée de la partition originale et de la version pour piano de Sergueï Taneïev révisée par Tchaïkovski lui-même : Ouverture miniature, Marche caractéristique, Danse de la Fée Dragée, Danse russe. L'irrésistible vivacité des transitions et de l'instrumentation féerique de Tchaïkovski ne laisse d'autre choix que de prendre tous les risques, sensiblement rehaussés sur le vif, au risque sinon d'assagir une musique aussi divinement calibrée que profondément libre et inventive. L'interprète opta sans hésiter pour une vibrante prise de risque à laquelle répondaient des registrations lumineusement évaluées, évoquant l'orchestre tout en faisant primer l'équilibre intrinsèque de l'orgue. On aurait volontiers entendu d'autres pages de cette partition enchanteresse – dont une splendide production du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg dirigée par Valery Gergiev était proposée dans le même temps sur France Télévisions (4).
Fabien Waksman © fabienwaksman.com
Difficile de rendre compte de la passionnante création qui s'ensuivit, commande de Radio France : Radiance, Blue de Fabien Waksman, lequel explique sa démarche dans le programme de salle. Difficile également d'imaginer qu'il s'agit là de sa première œuvre pour orgue, tant cet univers semble lui convenir de manière pleine et entière. Il s'agit en fait de la troisième pièce de Night Windows, triptyque inspiré de toiles de « Richard Pousette-Dart (1916-1992), peintre américain rattaché au mouvement de l’expressionnisme abstrait dont faisaient notamment partie Pollock et Rothko ». Création partielle donc, que l'on espère un jour suivie de celle du triptyque intégral, à l'orgue Grenzing pour lequel il a été pensé et avec projection des toiles concernées sur l'écran habituellement dévolu aux ciné-concerts, pour une complète immersion dans la couleur originelle de l'inspiration même de ces œuvres. S'ouvrant de façon presque énigmatique sans laisser deviner où le compositeur emportera l'auditeur, Radiance, Blue, œuvre d'envergure investissant en profondeur cet univers instrumental nouvellement découvert par le compositeur, et avec quelle acuité, fut assurément l'un des temps forts de ce concert. Exemple parfait de collaboration créatrice entre un compositeur jusqu'alors étranger au monde de l'orgue et un musicien, Karol Mossakowski, ayant apporté sa contribution à l'élaboration de la mise en forme de l'œuvre en termes purement instrumentaux – le premier ayant été professeur d'harmonie du second au Conservatoire de Paris, tout comme de Thomas Ospital, précédant organiste en résidence de Radio France.
Une improvisation se devait de clore ce récital de Noël, originale sur le plan de l'utilisation de l'instrument, en particulier des possibilités de sostenuto sur différents claviers, à l'exemple de la vague initiale évoluant dans le grave, enflant et refluant tout en instaurant un climat très singulier, avant que de manière indirecte des thèmes de saison ne soient introduits et brillamment variés : Jingle Bells, We wish you a merry Christmas… À l'issue du concert, Karol Mossakowski se tourna vers les quelques personnes présentes dans la salle – dont Fabien Waksman mais aussi Thierry Escaich – pour redire combien une présence humaine est importante pour un musicien. Un concert n'est pas une générale, et la présence d'un public, même infiniment réduit, est tout simplement essentielle.
Le prochain concert d'orgue, le 19 janvier 2021, devait être un ciné-concert : Le Fantôme de l'Opéra (1925), film américain de Rupert Julian, avec aux claviers le compositeur Benoît Mernier. L'absence de public contraint Radio France à lui substituer un récital du même Benoît Mernier, toujours le 19 janvier – le concert ne sera pas retransmis en direct mais diffusé à une date ultérieure. L'orgue sera également de la fête lors du Festival Présences 2021 (5), autour du compositeur Pascal Dusapin, et ce dès la soirée d'ouverture du 2 février, avec aux claviers Bernard Foccroulle (Buxtehude), puis Olivier Latry le 5 février pour la création française de Waves, duo pour orgue et orchestre de Pascal Dusapin (co-commande de Radio France) – concerts retransmis en direct sur France Musique qu'il y ait ou non du public. Puis de nouveau, le 7 février et avec Sonia Wieder-Atherton, Bernard Foccroulle interprète et compositeur pour la création mondiale de son Elegy for Trisha pour violoncelle et orgue (également commande de Radio France).
Michel Roubinet
Concert du 22 décembre 2020, Auditorium de Radio France
www.maisondelaradio.fr/evenement/concert-dorgue/un-orgue-pour-noel
(1) Retransmission du concert d'orgue de Noël 2020 de Radio France, présenté par Clément Rochefort :
www.francemusique.fr/emissions/le-concert-du-soir?p=2
Plages audio séparées :
www.francemusique.fr/concert/maison-de-la-radio-auditorium-recital-d-orgue-iii-widor-bach-tchaikovski-waksman-mossakowski-mossakowski
Vidéo intégrale du concert :
www.youtube.com/watch?v=VUxdE8x12i0&feature=youtu.be
(2) Présentation par l'interprète du programme de ce concert de Noël
youtu.be/EFOxs9F-9Tg
L'orgue, comment ça marche ? + portrait musical de Karol Mossakowski
www.maisondelaradio.fr/karol-mossakowski
(3) Programme de salle du concert du 22 décembre 2020
rf-maisondelaradio-production.s3.eu-west-3.amazonaws.com/s3fs-public/asset/document/22_dec._orgue.pdf
(4) Casse-Noisette sur France Télévisions
www.france.tv/france-5/passage-des-arts/1133245-casse-noisette.html
(5) Festival Présences 2021
www.maisondelaradio.fr/festival-presences-2021-pascal-dusapin
Photo © R. Kucavik
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