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Le Quatuor Tchalik, Pierre Génisson et Didier Sandre au Collège des Bernardins – Musique et verbe : idéales rencontres – Compte-rendu
Aussi bien pensé qu’il le soit, le spectacle qui cherche à combiner texte et musique est, quelque soit le dosage de l’un et de l’autre, toujours périlleux. Il requiert du public un switch on/switch,off qui ne va pas toujours de soi. L’ « exception qui confirme la règle » de son côté souvent bancal s’est produite, le samedi 12 juin, durant le deuxième des six concerts qui constituaient la 7ème édition du Festival des Heures au Collège des Bernardins. Le Quintette avec clarinette de Brahms y était préfacé par un texte inédit de François Cheng. On découvrait avec ravissement les mots d’un poète qu’on ne savait pas si musicien (1).
Pierre Génisson © Denis Gliksman pour Buffet Crampon
Cheng avait placé au cœur de son texte un vibrant éloge des quatuors de Beethoven, constituant à ses yeux « un royaume irradiant d’une lumière mystérieuse, aux confins de la mystique (.). On y est face à un langage libre et souverain, qui suit les penchants du coeur (…) ; on se laisse entraîner, loin de soi, dans une haute sphère, où une noble âme humaine se livre, se confie ... » S’achevant sur une citation de Baudelaire, ce beau texte lu avec son juste poids de sobriété et d’émotion par Didier Sandre, s’enchaîna au Quintette de Brahms. Rencontre inattendue de deux couleurs sonores : que ce fut coup de génie des organisateurs, (Véronique de Boisséson et Pierre Korzilius), ou effet de hasard, quoiqu’il en soit, il y eut comme un fondu-enchaîné idéal entre le timbre de baryton cuivré de Didier Sandre et celui de la clarinette de Pierre Génisson.
Quatuor Tchalik © Julien Daniel
Dans cette tonalité de si mineur à la fois rare, et féconde en chefs-d’œuvre singuliers (2), ce quintette, chéri tant à la fois par les organisateurs de concerts que des maisons de disques, nous donna, par la conception des interprètes bien plus conversante que concertante, un sentiment inattendu de nouveauté. Car voici que se produisit une autre rencontre : celle d’un soliste, Pierre Génisson — pour nous un des tout grands clarinettistes d’aujourd’hui, avec un jeune quatuor en pleine ascension (le Quatuor Tchalik). Pour une exécution réalisée quasiment sans répétition, cela aide-t-il d’être dans un groupe ou chacun se connaît depuis la naissance ?
Sans doute … Aucune prise de parole « soliste » de Génisson ; rien que du « conversant », du dialogue, de l’échange entre partenaires. Car, placé au milieu du quatuor, encadré par Sarah et Louise Tchalik, c’est de toute évidence Pierre Génisson qui crée un climat auquel les membres du quatuor ont su tous parfaitement s’adapter. Ses phrasés si souples, ses nuances si finement dosées, son incroyable sens de la couleur (quand il dialogue avec un violoncelle, Génisson n’a pas la même attaque que quand c’est avec un alto), ses tenues de notes longues, à la fois denses et légères, son swing rythmique, qui se voit dans le balancement de son corps ; cet ensemble de qualités rarement possédées toutes à un tel niveau, dédouble la poésie, ainsi que la puissante nostalgie de cette œuvre si viennoise.
L’apogée de cette rencontre, ou les cinq musiciens donnèrent l’impression de respirer comme un seul homme, fut sans aucun doute dans la partie centrale du mouvement lent, immense rhapsodie concertante, souvent plus ou moins « claironnée » —même par les meilleurs (3). Pierre Génisson nous donna le sentiment d’y entrer comme par inadvertance, pour un moment d’improvisation libre. Coup de chapeau au Quatuor Tchalick, parfaitement « au diapason » de cette liberté, prenant toute sa part, dans ce jeu subtil d’éclats et de confidences, de prises de parole inattendues (très joli solo de Marc Tchalik à la fin de cette partie rhapsodique). Dieu sait si Brahms, surtout à la fin de sa fin, bougonnait et tempêtait même contre ses meilleurs interprètes. Nul doute que ce samedi 12 juin, il n'eût été, tout simplement, le plus heureux des hommes.
Stéphane Goldet
Paris, Collège des Bernardins, 12 juin 2021 (12 h)
(1 ) Une conférence de François Cheng autour de ce thème « le murmure de l’âme » détachée du concert, avait été initialement prévue. La pandémie en décida autrement. Le poète envoya un texte, et suggéra qu’un familier de son œuvre la lise.
(2) Ne citons que la Messe en si mineur de J-S. Bach et la Sonate de Liszt.
(3) Citons parmi nos versions « coup de cœur » celle de Pascal Moraguès avec le Quatuor Talich (1987) ou celle de Sharon Kam avec le Quatuor Jerusalem (2013). Pour être honnête, rien n’indique que la prise de son de ces enregistrements ne soit pas responsable de cet effet « clarinette soliste ».
Photo © DR
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