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Elektra selon Michel Fau à Toulouse – Capitole elektrique — Compte-rendu
La statue brisée d’Agamemnon gît à terre, le chef couronné d’aiguilles telle une massive poupée vaudou. Hélas, nous avions sans doute l’esprit critique trop embrumé de Chéreau, Carsen, Castellucci et autres modernes, pour apprécier à sa juste valeur la vision de Michel Fau, très attendu après son Ariane à Naxos en ces mêmes murs. Comme celle d’un Benjamin Lazar Jugendstil, sa mise en scène se réfère littéralement à l’expressionnisme ainsi qu’à l'Elektra de Vienne en 1909.
Mais cette archéologie dérive bien vite vers un désuet qu’auraient applaudi nos trisaïeux, voire un grotesque qu’on espère au second degré. Les maquillages outranciers des mycéniennes, vêtues de sacs noirs, pourvues de perruques filasses, singent Murnau. Une dentelle fatiguée et une improbable couronne de fleurs dépareillent Ricarda Merbeth (photo). Des drapés de matrone romaine affublent Chrysothémis, une robe de chambre orientale empèse Oreste, Clytemnestre arbore un look de vamp hollywoodienne.
On note aussi quelques références manga avec une Akira en mauve et un samouraï en officier des basses œuvres. Labélisés Christian Lacroix, ces surplus ont un je-ne-sais quoi de malvenu, d’autant qu’on ne peut s’empêcher de sourire en voyant la pauvre Atride pousser, avec des efforts surjoués, de lourds blocs de pierre en polystyrène léger. Le passage d’un bouc éventré comme figure sacrificielle relève d’une taxidermie de marché aux puces et la cage de torture médiévale dans laquelle paraît Clytemnestre ne fait guère sens. Ses pointes acérées, rappelant la couronne de l’Agamemnon brisé, auraient pu fournir une intéressante arme du crime plutôt que cette hache de pompier bien éloignée de la labrys archaïque. Bref, à aucun moment la tragédie ne suinte.
Or Elektra n’est pas Ariane à Naxos. La distanciation comique en est pour le moins absente et, dans cette configuration à l’ancienne, les déplacements patauds ne fonctionnent pas, sauf durant certaines fulgurances entre la mauvaise mère et sa fille hystérique. Force est de constater que la farce sied mieux à Michel Fau que cette tragédie surdimensionnée. L’œil du spectateur est davantage attiré par l’immense toile séparant les interprètes de l’orchestre, peinte façon Schiele/ Kokoschka par Phil Meyer. Au gré des éclairages de Joel Fabing, des visages torturés, une danse extatique, des étreintes confuses paraissent tandis qu’au sol sèche le sang.
Toute l’équipe a su transformer la contrainte sanitaire en force. Souverain absolu de la furie straussienne, l’orchestre occupe la scène et le drame se noue sur la fosse transformée en proscenium. Le son devient le chœur antique et c’est devant son mur que les tragédiennes électrisent la salle de leurs parties épouvantablement sublimes. La tranchante Ricarda Merbeth peut susurrer des Agamemnon ! poignants et déployer toute l’intensité de son chant. Dans cette configuration sonore, Violeta Urmana impose son timbre félin et son tempérament de feu. Mais le chanteur wagnérien, sans l’habituelle configuration auquel la fosse l’oblige, peut aussi avoir du mal à équilibrer sa puissance et les éclats à nu de Johanna Rusanen (Chrysotémis) furent parfois à la limite du désagrément. Les mycéniennes sont honnêtes, mais parfois confuses. Frank Van Aken campe un Egisthe habilement piailleur façon Hérode, son petit frère en bassesse. Quant à Matthias Goerne, il lui suffit d’une première intervention pour pousser l’art du chant un cran plus haut. On songe immédiatement au Hans Sachs, au Jochanaan que cet impassible justicier, brûlé de l’intérieur, possède en réserve.
L’Orchestre du Capitole, mené avec autant de subtilité que de générosité par Frank Beermann, sublime les rutilantes dissonances de la partition. Il est l’autre triomphateur de cette production accueillie avec une ferveur aussi électrique que celle des supporters acclamant au même moment, place du Capitole, la victoire du Stade Toulousain.
Vincent Borel
Photo © Mirco Magliocca
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