Cette année le concert inaugural du Festival catalan Schubertíada n'a pas eu lieu dans le ravissant cloître du monastère de Vilabertran près de Figueres, mais à quelques kilomètres de là, dans la basilique Santa Maria de Castelló d’Empúries.
Invité privilégié d’un haut lieu de la musique de chambre depuis plus de vingt ans, Matthias Goerne (photo) ne pouvait pas manquer à l'appel de cette manifestation chérie, où il a à peu près tout chanté. Installé à plusieurs mètres de l'assistance, aux côtés de Juan de la Rubia (orgue) et d'une jeune et talentueuse violoniste, María Dueñas, le baryton allemand s'est d'abord illustré dans des extraits de cantates de Bach, choisis avec pertinence pour varier les effets et diversifier les climats. Jouées avec une grâce et une ampleur infinies, ces transcriptions pour orgue, violon et voix ont fait grande impression sur le public, "religieusement" concentré pour ne rien perdre des invocations dispensées par l'instrument sonore et harmonieux du liedersänger.
 

María Dueñas © David Ausserhoffer

Parfait dans ce répertoire codifié, Matthias Goerne rivalise de puissance et d'imagination tout en sachant dialoguer avec ses partenaires. S'il sait doser les effets et rugir quand il le faut, le baryton allège sans difficulté son timbre pour laisser passer les émotions, souligner un sentiment ou saisir une image, grâce à la large palette expressive qu'il déploie notamment dans l'aria "Hier, in meines Vaters Stätte" (BWV 32). Entre les interventions du chanteur, de courts extraits musicaux sont exécutés, par l’organiste virtuose de la Sagrada Familia de Barcelone, qui enflamme l'auditoire par la vigueur de son jeu et ses colorations, ou par l'archet sensible et bondissant d’une musicienne de 18 ans (victorieuse du Concours Menuhin en mai dernier à Richmond), Goerne sachant retrouver sa place de soliste en s'insérant finement et en déversant ses imprécations vers la foule qu'il domine ; magnifique "Die Welt mit allen Königreichen" (BWV 59). Après Bach et sa légendaire métrique, les trois interprètes ont convié Brahms avec tout d'abord le "O Welt, ich muss dich lassen" op. 122/3, puis les Vier ernste Gesänge op. 121, une partition de 1896 originellement conçue pour voix de basse et piano, particulièrement convaincante dans l’arrangement avec orgue qui en était proposé.
 

Juan de la Rubia © Igor Studio

Chanté par un artiste habité, dont chaque phrase impressionne par sa beauté formelle mais également la profondeur de son engagement et la force spirituelle qui s'en dégage, ce cycle a donné le sentiment d'avoir été composé pour l'acoustique si particulière d’une église. Le souffle épique de Goerne, sa façon unique de phraser, de presque psalmodier les textes issus de l’Ancien et du Nouveau Testament, pour en faire ressortir la force et l'étrangeté, ont produit l'effet d'une incantation, le public demeurant rivé aux lèvres du chanteur. Orgue et voix, par leur proximité, la singularité de leur matériau sonore, n'ont pas tardé à fusionner. Après pareille expérience, un seul bis délicieusement léger et hypnotique, le fameux "Bist du bei mir" de Stölzel (et non pas de Bach comme on le crut longtemps !), superbe de pureté et d'émotion, concluait un merveilleux concert inaugural, chaleureusement applaudi.
 
François Lesueur

30^e Schubertíada – Castelló d’Empúries, Basilique Santa Maria - 12 août 2021 // www.schubertiada.cat/ca/goerne-rubia-duenas-ce21
 
Photo © Caroline de Bon