Journal
Camille Saint-Saëns par Geneviève Laurenceau, l’Orchestre de Picardie et Benjamin Levy (Naïve) / Le Disque de la Semaine – Éternelle jeunesse – Compte-rendu
Quelle belle rentrée pour la musique de Camille Saint-Saëns ! Peu après la sortie de ce qui fait désormais figure de version moderne de référence de La Princesse jaune, avec Judith van Wanroij, Mathias Vidal et l’Orchestre national du Capitole de Toulouse mené par Leo Hussain (PBZ), au tour de la musique pour violon du maître français de resplendir sous l’archet de Geneviève Laurenceau (photo). Le compositeur français réussit particulièrement à une interprète qui a signé il y a quatre ans environ une magnifique Sonate n°1 en compagnie de David Bismuth dans un album « Paris 1900 » (Naïve) comprenant en outre la Sonate de Gabriel Pierné et la Sonate n° 1 de Fauré.
Cette fois, c’est un programme tout Saint-Saëns (1835-1921) que l’artiste a imaginé autour du Concerto pour violon en la mineur n° 1 op. 20, partition de jeunesse (1859) bien négligée (tout autant que le délicieux Concerto pour piano n° 1, d’une année antérieur) que le compositeur élabora à la demande de Pablo de Sarasate. Un fabuleux virtuose qu’il connut « frais et jeune comme le printemps » – l'enfant de Pampelune était de neuf ans son cadet – et auquel il a destiné une réalisation étonnante (en trois mouvements mais d’un seul tenant). Avec la complicité de Benjamin Levy, à la tête d'un Orchestre de Picardie plein de couleurs, la soliste traduit avec style et engagement la liberté rhapsodique d’une pièce pleine de contrastes et d’inattendu, entre virtuosité conquérante et plénitude lyrique. Restait à trouver un complément à un opus aussi irrésistible que bref (une douzaine de minutes). La solution de facilité eût consisté à le flanquer du célèbre Concerto n°3 ; Geneviève Laurenceau a opté pour une solution bien plus originale en l'entourant de pièces concertantes moins courues : Les Romances op. 37 (1871) & 48 (1874), le duo concertant La Muse et le Poète op. 132, l’arrangement pour violon et orchestre par Eugène Ysaÿe de la fameuse Etude en forme de valse op. 52/6 (1877), et d’un véritable bijou de la musique de chambre de l'auteur : la Fantaisie en la majeur pour flûte et harpe op. 124 (1907).
De l’Opus 20 à l’Opus 132, de 1859 à 1910, le portrait de Saint-Saëns qui se dessine ici balaie tous les préjugés dont souffre le compositeur. Derrière le portrait officiel de l’artiste célébré par une IIIe République aussi portée sur l’amidon que les décorations, et que d’aucuns s’acharnent à taxer d’académisme, se cache un créateur fidèle au génie de la patrie de Buffon et de Boileau, épris de clarté, lyrique et pudique. Tel est bien ce que nous donne à savourer l’archet de Geneviève Laurenceau dans deux Romances lumineuses et frémissantes (le passage de l’original pour flûte au violon fonctionne admirablement dans l’Opus 37 !).
L'époque de Saint-Saëns fut celle des virtuoses – et notre compositeur compta parmi plus brillants, au piano comme à l’orgue – : bien des pages de sa main en témoignent, telle la coruscante Etude en forme de valse op. 52/6 (1877) – qui devait par la suite faire la gloire d’Alfred Cortot. Eugène Ysaÿe n’a pas résisté à la tentation d’arranger pour violon et orchestre cette pièce éblouissante en 1901, en la rebaptisant Caprice – bien lui en a pris ! On fond littéralement de bonheur face à l’éclat, au chic et à l’ivresse sans tape-à-l’œil que lui apporte la soliste.
Redoutable défi technique aussi pour l’archet que la Fantaisie pour violon et harpe : dans un bel échange avec Pauline Haas, Geneviève Laurenceau en restitue le propos varié, étonnant, avec un mélange de tendresse, de feu et d’émerveillement.
A plus de 70 ans, Saint-Saëns éblouit par la fraîcheur et la verdeur de son inspiration, dans la Fantaisie autant que La Muse et le Poète, duo concertant pour lequel la violoniste dialogue avec le violoncelle de Yann Levionnois : il offre une sensuelle et vibrante conclusion à un enregistrement qui marquera à coup sûr l’année Saint-Saëns.
Notez enfin qu’une occasion d’entendre Geneviève Laurenceau en concert dans Saint-Saëns va bientôt se présenter : le 26 septembre au 33e Festival de Laon elle retrouvera les musiciens de l’Orchestre de Picardie, cette fois dirigés par Jean-Jacques Kantorow, pour la Romance op. 48, le Concerto n° 1 et le Caprice. La « Pastorale » de Beethoven viendra compléter un programme de bout en bout synonyme de lumière.
Alain Cochard
26 septembre 2021 -16h
Laon – Eglise Saint-Martin
festival-laon.fr/orchestre-de-picardie
Photo © Natacha Colmez
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