Journal
Der Silbersee de Kurt Weill à l’Opéra des Flandres (Gand) – A l’égal de Mozart
Pour cette nouvelle production, l’Opera Ballet Vlaanderen a choisi d’appliquer à Der Silbersee le traitement que reçoivent certaines œuvres de Mozart depuis quelques années, où le texte parlé est allégrement réécrit, voire complètement transformé, comme c’est arrivé pour L’Enlèvement au sérail ou pour la Flûte susnommée. Un an et demi après la fermeture des théâtres lors du premier confinement, l’équipe qui avait signé le dernier spectacle de la scène lyrique flamande revient pour le premier à pouvoir à nouveau accueillir le public : Ersan Mondtag signait en février 2020 la mise en scène et la scénographie de Der Schmied von Gent de Schreker, il en fait autant pour Der Silbersee, toujours avec la complicité de Josa Marx aux costumes. On retrouve donc le même univers expressionniste et coloré, le décor incluant même des références directes au précédent spectacle (les vitraux du château). Mais cette fois, le metteur en scène allemand s’est senti autorisé à récrire à peu près intégralement le livret, son dramaturge Till Briegleb estimant une adaptation indispensable aujourd’hui.
Nous sommes donc projetés en 2033, les misérables sont devenus des mutants difformes (modification génétique causée par la pollution), et une troupe de théâtre monte Der Silbersee, ce qui est l’occasion d’un certain nombre de gags, dont certains assez réussis, avec des dialogues et des improvisations qui font beaucoup rire le public néerlandophone. Il est néanmoins préférable d’avoir lu les explications dudit dramaturge si l’on veut comprendre pourquoi des univers hétéroclites s’enchaînent ou pourquoi des chanteurs de l’opéra de Pékin évoluent dans un décor pharaonique (revisité, puisque les statues colossales dignes d’Aida représentent Jésus et saint Sébastien affublés de masques à gaz, ou Ping et Liu – de Turandot ? – et Xi Jinping portant un masque de Winnie l’Ourson). C’est peu dire que le message de Kaiser et Weill se dilue un peu dans cette profusion d’idées, dans cette accumulation de références à diverses formes de dictature.
Du moins la musique est-elle très bien servie, par une distribution où l’on retrouve deux des chanteurs de Der Schmied von Gent. On remarque à nouveau le beau timbre de Chia-Fen Wu dans un petit rôle, et le jeune ténor espagnol Daniel Arnaldos, très investi dans le Schreker, incarne avec brio le principal personnage chanté. Son pendant féminin, Fennimore, est réparti entre deux interprètes : l’actrice Marjan De Schutter, vraie nature comique qui s’offre en plus le luxe de fort bien reprendre, accompagnée au piano, le Lied de Fennimore, et la soprano Hanne Roos, à l’aigu facile, très loin de la voix de Lotte Lenya, et qu’on retrouvera prochainement en Despina sur cette même scène. James Kryshak s’acquitte bien de l’intervention essentielle de l’agent de la loterie et, en baron Laur, donne une réplique adéquate à la Frau von Luber de l’actrice Elsie de Brauw. Mais la production s’articule autour de l’acteur Benny Claessens, délicieusement outrancier dans le rôle d’Olim. Très à l’aise dans le répertoire du XXe siècle, Karel Deseure dirige à un train d’enfer les passages jazzy typiques de la facette la plus connue de Kurt Weill mais laisse s’exhaler la poésie des nombreux moments où la partition adopte un style plus grave ou moins frénétique.
Le spectacle se voit jusqu’au 25 septembre à Gand, puis du 3 au 16 octobre à Anvers.
Laurent Bury
Photo © Opera Ballet Vlaanderen — Annemie Augustijns
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