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Finale du 57e Concours international de jeunes chefs d’orchestre de Besançon – Verdict en trois mentions spéciales
Trois baguettes restaient en lice comme toujours pour une ultime épreuve dont le programme comprenait une création mondiale signée Camille Pépin : Aux confins de l’Orage (une pièce en trois sections Sphères jaune-orange – Sylphes rouges – Jets bleus) où l’art de la couleur de la jeune compositrice française s’exprime avec autant de science de l’orchestre que d’imagination poétique. Commande du Festival de Besançon, la pièce a comblé l’oreille d’autant qu’elle n’a fait que gagner en compréhension de la part des chefs au long des trois étapes de la finale.
A côté de ce morceau d’une quinzaine de minutes, Jean Sibelius figurait pour la première fois en finale à Besançon avec sa 5e Symphonie op. 82, un excellent choix dont l’initiative revient au président du jury : Paul Daniel.
Parmi les plus jeunes candidats du 57e Concours, le Chinois Jiong-Jie Yin est encore étudiant au Conservatoire Central de Pékin, mais a déjà travaillé avec des aînés tels que Jukka-Pekka Saraste, Myung-Whun Chung, Esa-Pekka Salonen ou Neeme Järvi. A 21 ans seulement, l’artiste montre un technique solide et une relation très directe et immédiate avec l’orchestre ; souriant, l’œil vif, il mène ses troupes avec beaucoup souplesse. Premier dans l’ordre de passage, il assure donc la première audition mondiale de la pièce de Camille Pépin. Avec le recul de la suite de la finale, on comprendra que son approche d’Aux confins de l’Orage s’en tient à une dimension assez décorative, mais le bruissement des timbres dans la première section n’est sans charmer. Césure trop marquée entre les premiers volets : Jiong-Jie Ying peine à restituer la progression dramatique de la pièce (dont la structure tripartite peut être mise en parallèle avec celle de l’Opus 82 de Sibelius), défaut qui entache aussi la Symphonie en mi bémol majeur, ses deux premières parties surtout (cet Andante mosso, quasi allegretto dont le jeune chef ne sait trop que faire). La critique est facile mais ... avec une précocité rare, le Chinois manifeste un potentiel qui ne demande qu’à s’épanouir : pas de doute, on entendra reparler de lui !
Deuxième dans l’ordre de la finale, Deun Lee, 32 ans, est un chef déjà expérimenté. Etudes à la Mannes School of Music de New York, au Conservatoire Verdi de Milan, Premier Prix du Concours de chefs d’opéras Luigi Mancinelli et du Concours BMI (Bucarest) : après une solide formation couronnée de lauriers, le Coréen fait carrière dans le domaine lyrique (il est directeur artistique du Belloni Opera Festival).
Dès l’attaque de la pièce de Camille Pépin, la sûreté et la fluidité de sa battue et l’identité de sa sonorité se font sentir. Il imprime à Sphères jaune-orange une dimension méditative et contemplative, avant d’affirmer une conception très organique de la pièce.
On n’est pas moins admiratif de la façon dont il canalise la vie intérieure de la Symphonie n°5 de Sibelius, avec une grande concentration du geste et une plastique sonore certes belle mais qui ôte toutefois un peu trop de son âpreté à la musique de Sibelius.
3e Prix du Concours Malko en avril dernier à Copenhague, Chloé Dufresne (29 ans) est diplômée de l’Académie Sibelius d’Helsinki dans la classe de direction de Sakari Oramo. Elle a beaucoup dirigé en Finlande et s’est perfectionné auprès de collègues tels que Mikko Franck, Susanna Mälkki, Hannu Lintu ou Alain Altinoglu. L’endurance de musiciens de l’Orchestre national de Lyon a déjà été mise à l’épreuve par deux doublés Pépin-Sibelius ... Et de trois : la Française les entraîne dans une dernière partie de finale, passionnante !
A la différence des deux précédent candidats qui abordaient Aux confins de l’orage depuis la terre, le yeux dirigés vers le ciel, Chloé Dufresne, dès les premières notes, parvient à suspendre la musique là-haut. Elle joue des timbres de l’orchestre d’une magnifique façon, ose beucoup plus que Deun Lee à cet égard, et parvient à un fascinant fourmillement intérieur dans une partition dont elle comprend et accompagne la progression.
Le Sibelius des deux premiers finalistes manquaient d’âpreté, de granit pourrait-on dire. C’est tout le contraire sous une baguette qui affirme une singulière identité sonore. On est séduit par une approche vivante et très chorégraphique de l’épisode médian, par l’énergie que la jeune femme capte dès le premier mouvement et parvient à dompter pour mieux la faire rayonner dans le finale. Quelques scories sans doute – la fatigue, compréhensible ô combien !, de musiciens lyonnais très impliqués joue aussi ... – mais du point vue de l’originalité des choix interprétatifs, la prestation de Chloé Dufresne séduit infiniment.
Restait à désigner le Grand Prix, ce que Paul Daniel et les jurés qui l’entouraient (Jacques Mercier, Gillian Moore, Camille Pépin, Dima Slobodeniouk, Katy Woolley, cor solo du Concertgebouw qui a suivi la finale installée dans les rangs de l’Orchestre national de Lyon !, et Jean-François Verdier) ont préféré ... ne pas faire ! Au terme d’un long préambule, remarquable tant sur le fond que la forme – et mâtiné d’une pointe d’humour british – ; le président a annoncé que, compte tenu du niveau global exceptionnel de la finale et de l’ensemble du parcours des trois jeunes chefs, le jury renonçait unanimement à l’attribution du Grand Prix. Il a préféré opter pour trois « mentions spéciales » : à Jiong-Jie Ying pour sa jeunesse et sa relation avec l’orchestre, à Deun Lee pour la qualité de son travail avec les chanteurs et le chœur et à la Française pour l’originalité et la fraîcheur de ses intentions. Avantage tout de même à Chloé Dufresne qui obient aussi le Prix Coup de Cœur du Public et le Prix de l’Orchestre.
Rendez-vous en 2023 pour le 58e Concours !
Alain Cochard
Photo © Yves Petit
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