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Une interview de Max Emanuel Cencic - Le nouveau Margrave de Bayreuth
Vous disposez d’un outil exceptionnel pour enchanter le monde baroque…
Le Théâtre des Margraves est un lieu qui lui redonne pleinement sa place. Il y a eu ici une histoire musicale extraordinaire. Carestini et Faustina Bordoni y ont chanté, la scène a accueilli les œuvres de Hasse et de Johann Christian Bach, ce qui est plutôt remarquable pour un lieu si provincial ! Avant ce théâtre il y en avait eu un premier qui se trouve aujourd’hui intégré à l’ancienne synagogue. Soixante-dix opéras de Telemann et de Keiser y ont été donnés, ainsi qu’Il Pomo d’Oro de Cesti. Ses restes vont devenir le musée du Théâtre qui ouvrira dans deux ans. Nous prévoyons d’y privilégier les costumes de l’opéra car il y avait ici une collection de 20 000 costumes répertoriés dans de magnifiques albums. Nous sommes en train d’en recréer quelques-uns. Nous disposons aussi des maquettes des décors de Gali Bibiena. Celui que l’on voit aujourd’hui sur le théâtre est l’Ezio de Johann Christian Bach, reconstitué d’après les nombreux dessins conservés à Saint-Pétersbourg.
Qu’est ce qui fait la spécificité de ce magnifique théâtre ?
Sa rareté. Des salles comme celle-ci se comptent sur les doigts de la main. Versailles, Potsdam, Drottningholm, Ludwigsbourg, Potsdam, guère plus. L’acoustique en est sèche et claire, grâce à l’usage du bois. En revanche, et c’est intéressant pour monter un festival, la partie technique a été rénovée. Certes, elle est moins authentique qu’à Drottningholm, mais c’est plus pratique ! Avant le sol était en pierre mais, pour des raisons de sécurité, et afin de maintenir la salle à une température constante, on a posé un parquet en bois sur une discrète ventilation qui permet d’éviter les écarts de température et d’hygrométrie. C’est un bijou fragile.
Quelles étaient vos ambitions en créant ce festival ?
Il y avait du baroque avant 2018 et la longue restauration de l’édifice, mais les édiles locaux ont décidé d’affiner la programmation en nous en confiant les rênes. Avant, on achetait les productions de Berlin ou de Postsdam, mais jamais de créations aussi pointues que celles que nous proposons. C’était un souhait de la ville et de la région qui ont le désir de faire vivre leur patrimoine. Bayreuth est vouée à la musique et l’art n’y est pas compris comme une dépense mais comme un investissement. Quand on sait qu’un euro dépensé dans la culture en rapporte quatre, personne n’a hésité. Il y a aussi à Bayreuth l’expérience du festival Wagner qui est un énorme moteur économique pour la ville. Doubler cela avec un nouveau festival était une opportunité fabuleuse. Bayreuth Baroque est une marque qui m’appartient et dont je suis l’inventeur avec mon compère Georg Lang. Nous sommes une société privée dirigée par Clément Lukas et nous bénéficions de l’aide de l’État bavarois. L’opéra séria est un spectacle que l’on ne met pas souvent en scène et disposer d’un tel lieu pour le mettre en valeur est une façon d’inciter les amateurs à venir.
La ville se destinerait donc à devenir la capitale estivale de l’opéra ?
De presque tout le répertoire. Il manque encore ici le XIXe siècle, car Wagner c’est Wagner, alors qu’il n’y a ni Verdi ni Rossini, ni Meyerbeer ! Je dois d’ailleurs confesser n’avoir jamais vu d’opéras de Wagner au Festsielhaus. Je leur préfère le Richard Strauss d’inspiration viennoise, Le Chevalier à la Rose, Arabella, Ariane à Naxos allez savoir pourquoi… (rires). Le domaine de l’Eremitage, sorte de mini Trianon situé à l’extérieur de la ville était dédié à Apollon et aux Muses. C’est vraiment le signe que cette passion locale pour les arts et la musique remonte loin dans l’histoire de la cité.
Parlons de la programmation…
Pareil lieu nécessite des choix pointus car venir à Bayreuth est compliqué en termes de transport. Il faut être motivé. Si Wagner a son festival ici c’est parce que Cosima a voulu qu’aucun opéra de son mari, notamment le Ring et Parsifal, ne soit donné ailleurs. La rareté fut donc une raison de faire venir le public à pied, en calèche, en train, à genoux… Il me fallait adopter la même politique que Cosima, ne programmer que du rare et de l’excellent comme Vinci ou Porpora qui ne sont jamais donnés ailleurs, ou si peu. Si je présente un autre Orfeo ou un Giulio Cesare, pourquoi venir ? Les opéras du monde entier les montent. Nous allons privilégier des premières mondiales du répertoire napolitain, ou issu des cours allemandes comme Dresde, ou encore l’opéra ballet français. Cependant monter nos propres productions est pour l’instant assez compliqué. Pour des raisons de sécurité dans cet édifice fragile, nous devons répéter ailleurs. Alors nous le faisons à Athènes où nous disposons de l’espace et de beaucoup plus de temps. Et puis ici, en été, il est impossible de venir travailler, les prix des locations et des hôtels atteignent des sommets pharaoniques ; la faute à Wagner ! Alors nous travaillons à Athènes avec l’orchestre grec d’Anima Atenea. Ce n’est qu’une fois le travail achevé que nous venons tout mettre en place en cinq jours. C’est un véritable défi logistique.
Germanico, Carlo il Calvo et maintenant Polifemo, vous semblez porter beaucoup d’amour à Porpora…
Oui je l’avoue. Ce compositeur est d’une qualité extraordinaire. Avec Haendel c’est l’autre géant du XVIIIe siècle. On ne s’en rend pas compte car sa musique a été jetée dans l’ombre par le succès politique de son rival. Haendel est un faiseur de drames, mais il n’exige pas trop de ses chanteurs et ne cherche pas l’exubérance vocale alors que c’est le cœur du métier de Porpora, professeur de toutes les stars de l’époque. Le théâtre des Margraves est parfait pour les entendre, d’ailleurs vous avez pu l’expérimenter durant le récital de Franco Fagioli. Concernant le Londonien, je tiens à faire à Bayreuth ses oratorios, mais dans d’autres lieux. Cette année nous avons joué Judas Maccabaeus dans l’église principale de la ville. Mais j’ai découvert un autre lieu méconnu, la chapelle du Vieux Château, aujourd’hui église Saint-Georges. C’est un bijou baroque, disposant des tribunes où le culte réformé se réunit pour chanter. J’y vois la possibilité d’une autre configuration sonore, orchestre et chœurs en étages, public en bas, au contraire de ce qui se fait habituellement. Nous devrions y programmer Deborah. Nous investissons aussi d’autres lieux, l’Orangerie de l’Hermitage, le salon d’apparat du palais margravial, en centre-ville. Il y a encore tant de choses à faire… Dans les environs, il y a plus d’une centaine de sites estampillés Margraves et qui mériteraient d’être mis en valeur. Le chantier est énorme et passionnant. D’ores et déjà nous allons prolonger le festival 2022 sur tout le mois de septembre. Certes, notre première édition a subi la pandémie et le cru 2021 en a encore essuyé les conséquences, mais la réception de notre travail est si positive que nous espérons n’avoir guère de difficultés à croître et surtout à perdurer.
Propos recueillis par Vincent Borel le 12 septembre 2021
Festival Bayreuth Baroque : www.bayreuthbaroque.de/fr/
Photo © Lukasz Rajchert
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