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​Intérieur de Joan Magrané Figuera au Châtelet – De Miró à Maeterlinck – Compte-rendu

En 2020, Joan Magrané Figuera composait Intérieur hollandais I, pièce de six minutes pour clarinette, alto et harpe, inspiré par une toile de son compatriote Joan Miró. Le compositeur catalan né en 1988 avoue que l’œuvre du peintre lui est particulièrement chère : « Sa recherche plastique et poétique est fermement enracinée dans un paysage concret et en même temps, elle tend vers le plus haut possible, vers le cosmos ». De la peinture des Pays-Bas revisitée par Mirò aux Flandres natales de Maurice Maeterlinck, il n’y avait finalement qu’un pas, transition facilitée par la notion partagée d’Intérieur, même si la pièce du dramaturge belge renvoie plutôt à l’univers symboliste.

Publiée en 1894, soit deux ans après Pelléas et Mélisande, Intérieur est l’un des Trois Petits Drames pour marionnettes et rompt radicalement avec l’univers pseudo-médiéval de la Princesse Maleine. Pas d’époque précisée dans le texte de Maeterlinck, mais l’action se déroule vraisemblablement « de nos jours », puisque la famille visible à travers les fenêtres (les occupants de l’ « intérieur » auquel renvoie le titre) est assemblée « sous la lampe », suspension typique des intérieurs bourgeois de la fin du XIXsiècle. Pour autant, Intérieur a beaucoup en commun avec les drames situés dans un Moyen Age imaginaire, et on a pu considérer que cette pièce développait la situation de voyeurisme qu’on trouve déjà dans la fameuse scène où Golaud fait monter Yniold sur ses épaules pour observer ce qui se passe dans « la chambre de petite mère ». Ici, un Vieillard et un Etranger se tiennent dans le jardin et regardent par les fenêtres les habitants de la maison vaquer tranquillement leurs occupations, eux qui ignorent encore qu’une de leurs filles est morte, ce que le Vieillard va se charger de leur annoncer.
 

© Théâtre du Châtelet

Peut-être sensible à cette proximité, Joan Magrané Figuera n’a pas voulu composer un opéra à partir du drame de Maeterlinck, mais plutôt créer « une ambiance » et explorer « la poétique du texte afin de l’expliquer avec peu voire pas de mots, et de façon à ce que le public puisse se trouver au milieu de l’action, tout en en devenant quasiment un protagoniste ». Une ambiance, il y en bien une, immédiatement campée par ce que joue l’orchestre principal dans la fosse – l’Ensemble intercontemporain, commanditaire de l’ouvrage, que dirige Matthias Pintscher –, mais à ce très beau prélude assez développé succède un moment de théâtre plus statique : dans le spectacle réglé par Silvia Costa, on ne voit pas les habitants de l’Intérieur, et pour cause, puisque la maison n’est ici qu’une minuscule forme, suite de jouets gigognes. On ne voit pas non plus les personnages situés à l’extérieur, puisque les dialogues ont été fusionnés en un soliloque confié à un récitant entouré de six instrumentistes qui se déplacent sur la scène avec lui. Tantôt debout, tantôt assis sur l’une des chaises folles entourant une table en train de basculer vers le sol, Michel Vuillermoz dit fort bien le texte, mais la tension dramatique en est comme retirée par le côté abstrait de la mise en scène. Une danseuse représente la morte, elle est à un moment trempée par la pluie qui renvoie à sa noyade, puis elle se laisse rouler à terre. C’est peu pour soutenir l’intérêt du spectateur, même pendant la petite heure que dure l’œuvre. Après l’exubérance de Miró, Joan Magrané Figuera semble ici pencher vers l’extrême inverse, avec ce Maeterlinck radicalisé, sans doute un peu trop dépouillé pour son bien.

Jacques Tessier

Joan Magrané Figuera : Intérieur – Théâtre du Châtelet, 23 octobre 2021

Photo © Théâtre du Châtelet

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