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Back on Track 61, création de Jean-Christophe Maillot, par Les Ballets de Monte Carlo – Corps et âmes – Compte-rendu
Back on Track 61, création de Jean-Christophe Maillot, par Les Ballets de Monte Carlo – Corps et âmes – Compte-rendu
Subtil et merveilleux ballet que ce Back on Track 61, conçu d’un seul élan par Jean-Christophe Maillot pour faire ressortir une foule d’émotions passées, avec une vitalité qui pourtant n’a rien de morbide. Un ballet à mémoire de forme, où loin de s’appesantir sur quelque anecdote, c’est le parcours des corps et de la pulsion qui les anime, suivant les phases de la vie, que fait ressortir le chorégraphe, avec une finesse qui fait de cette pièce l’une de ses plus grandes réussites. A 61 ans, Maillot, riche d’une œuvre qui le place dans le peloton de tête des chorégraphes du jour, et fidèle à l’art de la pointe tout en sachant écouter son temps et jouer de lui, témoigne d’une maîtrise de l’introspection gymnique qui étreint, tout en contant beaucoup de sa propre histoire, à chaussons tirés : et son histoire, on l’a parcourue depuis de longues années, avec ses phases de burlesque, de loufoque, d’abstrait, de dramatique, de joyeux ou de tragique. Toujours brillant.
Mais cette fois, l’homme heureux, l’artiste épanoui qui a la sagesse de mesurer ses chances, avec le superbe outil que lui offrent les Ballets de Monte Carlo, se saisit du plus fin pinceau pour dire son rapport à la danse, et la façon dont elle révèle les personnalités. Lui qui ne montre aucun signe de faiblesse dans son instinct créateur, a eu aussi la superbe idée de faire à nouveau appel à sa muse et compagne, Bernice Coppieters et à l’un de ses plus grands interprètes d’un autrefois récent, Asier Uriagereka, pour conter la douceur et la douleur des corps lorsqu’ils ont été instruments de beauté. De Bernice Coppieters, il faut dire et redire que cette étonnante ballerine, l’une des plus grandes de l’époque malgré sa modestie, explicite comme un livre ouvert la pensée de Maillot : muscles et tendons (apparemment) inattaqués, sa cinquantaine la déploie comme autant de lignes tracées dans l’espace, à la fois graphique et frémissante, sorte de corde aussi lisse qu’une portée mais mobile comme une harpe.
Un exemple rare que cette artiste, aujourd’hui complice de Maillot pour remettre en lice ses ballets et porter au plus près la pensée de l’auteur, mais qui n’avait plus touché à une barre d’entraînement depuis ses adieux à la scène, il y a sept ans. Là, poussée par Maillot à faire renaître la perfection de son langage, elle le reparle comme si le temps n’avait eu aucune prise sur elle. Tandis que son beau partenaire la met suprêmement en valeur dans des portés et des étreintes d’une pureté saisissante.
Mais cette fois, l’homme heureux, l’artiste épanoui qui a la sagesse de mesurer ses chances, avec le superbe outil que lui offrent les Ballets de Monte Carlo, se saisit du plus fin pinceau pour dire son rapport à la danse, et la façon dont elle révèle les personnalités. Lui qui ne montre aucun signe de faiblesse dans son instinct créateur, a eu aussi la superbe idée de faire à nouveau appel à sa muse et compagne, Bernice Coppieters et à l’un de ses plus grands interprètes d’un autrefois récent, Asier Uriagereka, pour conter la douceur et la douleur des corps lorsqu’ils ont été instruments de beauté. De Bernice Coppieters, il faut dire et redire que cette étonnante ballerine, l’une des plus grandes de l’époque malgré sa modestie, explicite comme un livre ouvert la pensée de Maillot : muscles et tendons (apparemment) inattaqués, sa cinquantaine la déploie comme autant de lignes tracées dans l’espace, à la fois graphique et frémissante, sorte de corde aussi lisse qu’une portée mais mobile comme une harpe.
Un exemple rare que cette artiste, aujourd’hui complice de Maillot pour remettre en lice ses ballets et porter au plus près la pensée de l’auteur, mais qui n’avait plus touché à une barre d’entraînement depuis ses adieux à la scène, il y a sept ans. Là, poussée par Maillot à faire renaître la perfection de son langage, elle le reparle comme si le temps n’avait eu aucune prise sur elle. Tandis que son beau partenaire la met suprêmement en valeur dans des portés et des étreintes d’une pureté saisissante.
Back on Track 61 © Alice Blangero
En fait, l’idée scénique de ce Back on track 61 est extraordinaire : Maillot, amoureux depuis toujours du Concerto en sol de Ravel, que son père lui apprit à écouter, lance dans l’arène une pléiade de pétulants jeunes gens pour le premier mouvement, tous ivres de leur force, de leur joie de vivre, de leur énergie sans limites. Les doigts vertigineux de Martha Argerich, dont il a choisi l’ enregistrement, entraînent la joie pure de la danse et du mouvement, dans une explosion qui se passe de la pensée. Puis, avec l’Adagio assai, un prodigieux moment commence : accolé à une barre, mais perché sur des tabourets pivotants, un couple plus âgé commence à vivre la musique autrement. Il dit en relâchements esquissés ou en jaillissements des membres lancés vers un infini qui échappe, en élans un peu brisés puis vainqueurs, la plainte autant que la gloire de corps aiguisés par tant de gestes accomplis à coup de souffrance et d’exultation. Tous deux tourbillonnent sur leurs tabourets, se frôlent et enfin se retrouvent, à pas mesurés, qui racontent leur aventure corporelle er artistique.
Après les clapotis de l’âme, reviennent avec le Presto final les gambades du corps et la jeunesse triomphante des cadets. On en a le souffle coupé, car le choc des contrastes creuse ici l’œuvre de Ravel avec une profondeur que la danse ne lui apporte pas toujours. Et si les deux étoiles dont Maillot se sert autant pour leur rendre hommage, car ils sont ici à la fois sujets qu’instruments, que pour faire revivre ses propres failles ou bonheurs, sont prodigieux d’intensité contrôlée, on s’émerveille aussi de la qualité grandissante de la compagnie, enrichie d’éléments éclatants, aux techniques tracées au cordeau comme celles d’Anna Blackwell et de Portia Soleil Adams.
En fait, l’idée scénique de ce Back on track 61 est extraordinaire : Maillot, amoureux depuis toujours du Concerto en sol de Ravel, que son père lui apprit à écouter, lance dans l’arène une pléiade de pétulants jeunes gens pour le premier mouvement, tous ivres de leur force, de leur joie de vivre, de leur énergie sans limites. Les doigts vertigineux de Martha Argerich, dont il a choisi l’ enregistrement, entraînent la joie pure de la danse et du mouvement, dans une explosion qui se passe de la pensée. Puis, avec l’Adagio assai, un prodigieux moment commence : accolé à une barre, mais perché sur des tabourets pivotants, un couple plus âgé commence à vivre la musique autrement. Il dit en relâchements esquissés ou en jaillissements des membres lancés vers un infini qui échappe, en élans un peu brisés puis vainqueurs, la plainte autant que la gloire de corps aiguisés par tant de gestes accomplis à coup de souffrance et d’exultation. Tous deux tourbillonnent sur leurs tabourets, se frôlent et enfin se retrouvent, à pas mesurés, qui racontent leur aventure corporelle er artistique.
Après les clapotis de l’âme, reviennent avec le Presto final les gambades du corps et la jeunesse triomphante des cadets. On en a le souffle coupé, car le choc des contrastes creuse ici l’œuvre de Ravel avec une profondeur que la danse ne lui apporte pas toujours. Et si les deux étoiles dont Maillot se sert autant pour leur rendre hommage, car ils sont ici à la fois sujets qu’instruments, que pour faire revivre ses propres failles ou bonheurs, sont prodigieux d’intensité contrôlée, on s’émerveille aussi de la qualité grandissante de la compagnie, enrichie d’éléments éclatants, aux techniques tracées au cordeau comme celles d’Anna Blackwell et de Portia Soleil Adams.
Back on Tract 61 © Alice Blangero
En riche prélude à cette traversée chorégraphique, une œuvre qui est elle aussi un vrai bijou, et permet au grand chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, aujourd’hui directeur des Ballets de Genève, de rendre hommage aux chaussons, qu’il ne pratiquait pas à l’heure où il fit ce In Memoriam, marqué par sa sensibilité toujours à vif. Sur les musiques, rauques, poignantes, envoûtantes du groupe corse A Filetta, lequel était sur la scène lors de la création, en 2004, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
L’œuvre, sublimement éclairée par Dominique Drillot, déploie à la fois humour et poésie, en duos d’un lyrisme brûlant, ou d’ensemble parfois cocasses, les empreintes de ce que les corps ont vécu et gardent au secret d’eux-mêmes. Il y a notamment une scène de baston où l’homme, à coups d’entrelacements et de rejets d’une incroyable habileté, brutalise encore et encore sa partenaire. Et tout y est montré sans la moindre vulgarité, en croisements et feintes, sans chocs vrais mais avec une souplesse dans l’affrontement bien plus parlante que la violence à l’état brut. Tandis que la musique d’A Filetta dit les souffrances et les joies, sur un fond qui évoque irrésistiblement les flux et les reflux de la mer. En fait, une soirée maritime que ce spectacle accompli, d’une richesse inouïe, qui mène des somptueux et rudes rivages corses à la rutilance du Concerto en sol. Ombre et lumière, mobilité de la danse et immobilité de l’âge grignotant peu à peu les forces : un travail aigu comme un ciseau d’orfèvre.
Jacqueline Thuilleux
En riche prélude à cette traversée chorégraphique, une œuvre qui est elle aussi un vrai bijou, et permet au grand chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, aujourd’hui directeur des Ballets de Genève, de rendre hommage aux chaussons, qu’il ne pratiquait pas à l’heure où il fit ce In Memoriam, marqué par sa sensibilité toujours à vif. Sur les musiques, rauques, poignantes, envoûtantes du groupe corse A Filetta, lequel était sur la scène lors de la création, en 2004, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
L’œuvre, sublimement éclairée par Dominique Drillot, déploie à la fois humour et poésie, en duos d’un lyrisme brûlant, ou d’ensemble parfois cocasses, les empreintes de ce que les corps ont vécu et gardent au secret d’eux-mêmes. Il y a notamment une scène de baston où l’homme, à coups d’entrelacements et de rejets d’une incroyable habileté, brutalise encore et encore sa partenaire. Et tout y est montré sans la moindre vulgarité, en croisements et feintes, sans chocs vrais mais avec une souplesse dans l’affrontement bien plus parlante que la violence à l’état brut. Tandis que la musique d’A Filetta dit les souffrances et les joies, sur un fond qui évoque irrésistiblement les flux et les reflux de la mer. En fait, une soirée maritime que ce spectacle accompli, d’une richesse inouïe, qui mène des somptueux et rudes rivages corses à la rutilance du Concerto en sol. Ombre et lumière, mobilité de la danse et immobilité de l’âge grignotant peu à peu les forces : un travail aigu comme un ciseau d’orfèvre.
Jacqueline Thuilleux
Back on Track 61 ( chor. Jean-Christophe Maillot, création) / In Memoriam (chor. Sidi Larbi Cherkaoui) - Opéra de Monte Carlo, le 29 octobre 2021
Photo © Alice Blangero
Photo © Alice Blangero
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