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Rencontre avec Marie Linden, Directrice générale de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg – Un orchestre dans la cité
L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg (OPS) est au cœur de l’événement lyrique de ce mois de janvier à l’Opéra national du Rhin avec la création française des Oiseaux de Walter Braunfels (1882-1954). Ted Huffman signe la mise en scène d’une production conduite par Aziz Shokhakimov, directeur musical de l’OPS, en fonction depuis la rentrée passée. On en a profité pour rencontrer Marie Linden (photo), enthousiaste directrice générale de la phalange alsacienne.
Marko Letonja : un grand directeur musical
Forte de son expérience à l’Ensemble Intercontemporain puis au CNSMD de Paris, Marie Linden a pris ses fonctions en septembre 2017, à l’époque où Marko Letonja tenait les rênes de l’OPS (depuis 2012). Elle ne manque pas de rendre hommage à « un homme discret, un grand directeur musical, très investi, présent sur tous les fronts. Il a fait incroyablement progresser le niveau de l’orchestre ; le succès récemment obtenu avec les enregistrements berlioziens de John Nelson est aussi le fruit du travail de fond de Marko. Il a apporté énormément de cohésion aussi bien sur le plan humain que celui du son ; son rôle aura été capital, il était adoré par les musiciens, comme par les équipes administratives et techniques. »
Marko Letonja © Dan Cripps
« Quand je suis arrivée en 2017, j’ai été très heureuse que Marko accepte d’effectuer un troisième mandat, d’abord parce que les choses se passaient très bien avec lui, mais aussi parce qu’il me semblait dangereux de changer en même temps de directeur général et de directeur musical. Pour assurer une bonne transition, il ne faut pas tout changer d’un coup : je voulais que l’on prenne le temps de bien préparer l’après Marko car, quand quelqu’un de cette valeur s’en va, il faut que la personne qui lui succède soit à la hauteur. »
Aziz Shokhakimov © J.B. Millot
Une transition soigneusement préparée
« Dès 2017, j’ai constitué une commission artistique et nous avons commencé à réfléchir à la manière dont nous allions recruter le successeur de Marko. Nous avons décidé de réinviter les chefs avec lesquels ça s’était bien passé en symphonique, mais aussi les baguettes que nous avions appréciées à l’Opéra et que nous n’avions pas encore testées en symphonique. Nous avons fait largement savoir que nous cherchions un nouveau directeur musical et avons regardé, parmi les orchestres européens, quels étaient les chefs à suivre, et à tester. C’est ainsi qu’Aziz Shokhakimov, qui avait déjà été invité en 2014 et était revenu par la suite, toujours avec succès, a été retenu parmi les divers successeurs potentiels de Marko ».
Une synergie assez unique
Né en 1988 à Tachkent, lauréat du Concours de Bamberg en 2010, le jeune chef ouzbek s’est vite fait remarquer (le Herbert von Karajan Young Conductors Award lui est revenu en 2016 au Festival de Salzbourg) et fait désormais souffler un vent se jeunesse à Strasbourg, parfaitement en phase avec le projet synonyme d’ouverture que Marie Linden met en œuvre depuis 2017.
Comme le souligne la directrice générale, l’OPS n’a pas le monopole des concerts jeunes publics, des actions pédagogiques, etc., très répandus chez tous les orchestres français, mais se distingue par « une politique partenariale très forte, par de nombreux projets en coproduction avec des structures telles que l’Opéra du Rhin, le Théâtre du Maillon, où nous avons par exemple donné le Winterreise d’après Schubert de Hans Zender, le Conservatoire de Strasbourg, l’Espace Django (une salle jazz-musiques du monde), nous avons travaillé par le passé avec Théâtre National de Strasbourg, nous développons des projets avec La Laiterie, et je n’oublie pas le Chœur Philharmonique de Strasbourg, ni le Festival Musica évidemment. »
« C’est une caractéristique de la vie culturelle à Strasbourg que ce dialogue, cette synergie entre des partenaires aux esthétiques parfois différentes. Ça me paraît tout à fait naturel, mais quand j’en parle avec des collègues d’autres orchestres français, je mesure que c’est assez unique. Nous avons par ailleurs noué un partenariat avec les musées, où nous jouons les premiers dimanches du mois, mais aussi avec le festival littéraire « Les Bibliothèques idéales ». Le travail en direction des entreprises du territoire, auxquelles nous proposons des soirées de découverte de l’orchestre, fait aussi partie de cette ouverture tous azimuts et Aziz s’inscrit pleinement dans ce projet. Il dirige personnellement les concerts pour les enfants, pour les familles et est prêt à rencontrer les mécènes potentiels, à dialoguer avec les élus si ça s’avère nécessaire. »
© OPS
Un travail de co-construction
« Un bon binôme directeur général/directeur musical est essentiel pour la bonne marche des choses, poursuit Marie Linden. C’était ma grande chance avec Marko Letonja et c’est ce que je suis en train de construire avec Aziz. N’oublions pas que Strasbourg constitue sa première expérience à un poste de directeur musical : c’est un métier qui s’apprend. Il s’agit aussi de l’accompagner dans ses envies de changement et ... changer les habitudes dans le fonctionnement d’un orchestre n’est pas toujours simple ... »
Une riche saison de musique de chambre
Il est de très bonnes habitudes néanmoins, tel ce goût de la musique de chambre, depuis longtemps présent à l'OPS, et que la directrice générale encourage et développe depuis 2017, pleinement suivie par Shokhakimov désormais. « La musique de chambre est très utile pour l’orchestre, pour la cohésion inter-pupitres. Elle a impact très positif sur le son global et s’avère valorisante pour les musiciens, d’autant que tout les instrumentistes y ont accès, pas seulement les chefs de pupitre. De plus, elle permet d’aller dans plein d’endroits où l’on ne peut pas jouer en symphonique et donc de s’ouvrir sur le territoire avec des programmes très diversifiés, du quatuor à cordes aux percussions. »
Alexandre Tharaud, artiste en résidence © J.B. Millot
Pas de résidence pour le principe !
Autre pratique ancienne de l’OPS, la résidence d’artiste convainc Marie Linden ... à certaines conditions. « C’est une vraie plus-value, mais je me bats contre les résidences un peu trop « marketing ». Il faut parvenir à bâtir un vrai projet avec un artiste qui a envie de donner du temps, de venir souvent, de faire des choses différentes. Pas de résidence pour le principe : le pur affichage ne m’intéresse pas ! » Autant dire qu’elle sur la même longueur d’onde qu’Alexandre Tharaud, qui aura été présent en moyenne une fois par mois cette saison à Strasbourg, pour un concerto, un récital et un programme de musique de chambre partagé avec des musiciens de l’Orchestre, mais aussi une masterclass avec des pianistes élèves du Conservatoire, une rencontre avec l’association des amis de l’Orchestre ou encore un concert-lecture dans le cadre des « Bibliothèques idéales ».
David Grimal © Bobrik
Ruptures enrichissantes
Certains événements de la saison permettent de nouer un lien particulier entre un artiste et l’orchestre. Ce sera le cas les 24 et 25 février prochains avec David Grimal, que l’OPS a embarqué en tant soliste et chef dans l’aventure d’une intégrale des concertos pour violon de Mozart. « Une grande chance offerte à nos musiciens, qui auront l’occasion de travailler sur instruments modernes mais avec des archets classiques, se réjouit Marie Linden. Cela s’inscrit dans une dynamique d’ouverture et d’expérimentation et permet une rupture enrichissante avec les habitudes. » Dans le même esprit de « découverte de nouvelles façons de faire », la directrice met l’accent sur trois concerts avec Ton Koopman (24, 25 et 26 mars) dans des ouvrages de Haydn en particulier.
15 à 20 % de public allemand
Voisin de l’Allemagne, l’OPS profite de la proximité avec ce pays très musicien. La crise sanitaire et les problèmes de circulation qu’elle entraîne ont évidemment fait chuter le chiffre mais, en temps normal, l’Orchestre peut compter sur 15-20% de public allemand, avec beaucoup d’abonnés, des groupes qui se rendent au concert du Nouvel An. Les programmes de salle bilangues, une version allemande la brochure de saison attestent l’importance de la relation avec les auditeurs d’outre-Rhin, tout comme le succès que remporte chaque dernier samedi du juin le rituel « Concert des Deux-Rives », manifestation musicale populaire en plein air qui, en 2019, avait rassemblé 15000 personnes.
Michael Spyres pendant l'enregistrement de l'album "Baryténor" © Gregory Massat
L’importance du projet audiovisuel
Le projet audiovisuel joue un rôle clef dans la politique mise en œuvre par la directrice, en tant que « moyen de positionner l’Orchestre au niveau national et international. Nous avons tout récemment signé un contrat sur quatre ans ans avec Medici et Warner, précise-t-elle, et nous poursuivons évidemment notre collaboration avec Arte concert (un concert par an en moyenne - l’Orchestre a pris part au « Marathon Beethoven » l’an dernier avec la 8e Symphonie). Nous faisons attention à ce que nous enregistrons. »
Trois à quatre disques sont prévus chaque saison chez Warner. Très bien accueilli, le cycle berliozien de John Nelson se poursuit : après les Troyens, la Damnation de Faust et le Requiem, le maestro américain confiera Roméo et Juliette aux micros dans les mois qui viennent. En mai, le premier disque d’Aziz Shokhakimov avec l’OPS sera mis en boîte (les suites de Roméo et Juliette et la Symphonie « classique » de Prokofiev) et, après le justement acclamé récital « Baryténor » de Michael Spyres avec Marko Letonja, on découvrira au printemps le programme Janáček (Messe glagolitique et Sinfonietta) enregistré par l’ancien directeur musical.
Pour l’heure, c’est vers l’Opéra national du Rhin que l’attention se tourne. Les Oiseaux de Braunfels, ouvrage créé sous la baguette de Bruno Walter à Munich en novembre 1920, attendent depuis un siècle donc leur première française. Sachons gré à Alain Perroux, directeur de l’OnR, d’en avoir pris l’initiative. L’impatience est d’autant plus grande d’entendre Shokhakimov que celui-ci a montré en décembre dernier de convaincantes affinités avec la musique du compositeur allemand en dirigeant Advent, première partie de Das Kirchenjahr (1)
Notez enfin que l'OPS, pris à l’Opéra, ne donne pas de concert symphonique ce mois-ci, mais en profite pour recevoir (le 21 janvier) l’Orchestre national de Lyon, Nicolaj Szeps-Znaider et Thomas Hampson dans un programme Wagner, Brahms, Dvorak.(2)
Alain Cochard
(Entretien avec Marie Linden réalisé le 6 janvier 2022)
(2) philharmonique.strasbourg.eu/detail-evenement/-/entity/id/135060966
W. Braunfels : Les Oiseaux (Die Vögel)
Opéra national du Rhin
Strasbourg : 19, 22, 25, 27 & 30 janvier 2022
Mulhouse (La Filature) : 20 et 22 février
https://www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2021-2022/opera/the-birds
Photo © Gregory Massat
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