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​Patrizia Ciofi et Karine Deshayes à L’Instant Lyrique / Salle Gaveau – Nirvana belcantiste – Compte-rendu

 
Comme il est bon de retrouver les artistes que l’on aime dont les voix, les personnalités et l’histoire nous sont si chères et si proches. Après toutes ces annulations, ces reports et ces rendez-vous manqués, les fidèles de l’Instant Lyrique étaient tous là pour célébrer le bel canto en compagnie de deux de ses plus belles ambassadrices.
Tout ou presque a été dit de l’art si singulier de Patrizia Ciofi, soprano au timbre inimitable, tout ensemble curieuse et téméraire, dont les fondations techniques, le goût et le respect musical lui ont permis d’embrasser les répertoires les plus opposés, sans jamais déroger aux préceptes du bel canto, assimilés dès son plus jeune âge. Virtuose elle aurait pu l’être et le rester, mais à force de volonté et par amour du risque, cette Norina, cette Adina, cette inoubliable Marie devint Amina, Ophélie et Lucie avant de tutoyer d’autres cimes avec La Straniera, Maria Stuarda et Norma, conservant près de trente ans durant Violetta, le rôle de sa vie.
Pour ce nouveau rendez-vous parisien la cantatrice italienne aurait pu choisir la facilité ; elle a préféré offrir comme il y a quelques jours lors d’un concert donné à La Chaux-de- Fonds, la scène de folie d’Anna Bolena, opéra de Donizetti qu’elle n’a jamais abordé à la scène. Avec ce « Piangete voi » déchirant chanté archet à la corde, où son timbre voilé et sa voix à l’expressivité exacerbée se fait le pur reflet de l’âme désolée de l’héroïne, le niveau est donné.
 

Antoine Palloc, Karine Deshayes & Patrizia Ciofi © Olivia Khaler

Seule une partenaire telle que Karine Deshayes peut lui répondre sur ce terrain et sa première intervention tout en nuances d’abord puis en élan ravageur, dans le « Se Romeo t’uccise un figlio » extrait des Capuleti e i Montecchi, en est un parfait exemple. Entendre à nouveau les deux chanteuses comme à Marseille en 2017 dans le duo « Si fuggire… » de l’ouvrage précité de Bellini procure bien entendu une joie immense. Leurs timbres complémentaires, la qualité de leurs phrasés, l’équilibre parfaitement dosé de leurs vocalises suscitent à la fois une certaine nostalgie – car on sait qu’on ne les retrouvera plus ensemble dans ces rôles au théâtre – tout en rendant ce moment éternel, car l’on devine qu’il restera gravé longtemps dans nos mémoires.

L’air de Marie « Il faut partir » comme celui de Gilda « Caro nome », si souvent interprétés à la scène ou en récital demeurent les chevaux de bataille de Patrizia Ciofi ; son art du clair-obscur, sa manière de dépeindre avec sensibilité les sentiments tout en s’acquittant des difficultés musicales avec cette science et ce style si personnels demeurent, de même que ses renversantes cadences où les notes finales donnent le frisson, tenues qu’elles sont sur un fil solidement arrimé.

Karine Deshayes n’est pas en reste, musicienne elle aussi accomplie, capable de passer de ce Romeo fougueux, à l’air d’Elisabetta de Rossini « Quant’è grato all’alma mia » aux vocalises escarpées, avant de se jouer crânement du périlleux aria de Giovanna Seymour « Per questa fiamma indomita » , rôle chanté la veille au TCE en remplacement de Marianne Crebassa, aux côté de Marina Rebeka en Anna Bolena. Là encore, impossible de ne pas saluer la rondeur de l’instrument, l’homogénéité de la ligne de chant et une virtuosité à la fois généreuse et naturelle. Comme à Moscou en avril 2017, le duo Norma/Adalgisa se reformait ensuite avec l’emblématique « Mira o Norma », magnifique et tendre envolée bellinienne, solidement accompagnée par le pianiste Antoine Palloc.

D’abord un peu froid puis rapidement conquis par le talent et la complicité de ces deux dépositaires d’un chant de grande école, le 68ème numéro de L’instant lyrique se terminait au bord de l’eau où Lakmé (Ciofi) et Malika (Deshayes) marchaient côte à côte sous une brise légère embaumée du parfum des jasmins. Un nirvana.

 
François Lesueur

 
 
Paris, salle Gaveau, 12 avril 2022
 
Photo © Olivia Khaler

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