Journal
Don Carlo à l’Opéra de Marseille – D’une force intacte – Compte-rendu
Créée il y a cinq ans pile, pour boucler la saison 2016-2017, la production de Don Carlo reprise sur la scène lyrique marseillaise n’a rien perdu de sa puissance. L’actualité du monde continue d’éclairer de façon blafarde un livret terriblement réaliste où intégrisme et obscurantisme viennent conforter la position du tyran un temps menacée par des prémices démocratiques étouffées dans l’œuf. A coup d’autodafés suivis d’exécutions, à l'opéra l’ordre règne toujours au Palais de l’Escurial mais aussi, hélas, ailleurs dans notre univers…
Si cette production est toujours aussi tendue et prenante, elle le doit d’abord à Verdi et à une musique collant parfaitement à l’intrigue et à ses rebondissements. On donne ici une partition d’où le compositeur a ôté les fioritures pour aller vers un essentiel qui procure sa dimension à l’action sans avoir à passer par des circonvolutions esthétiques. Ce qui ne veut pas dire que la rigidité préside à l’interprétation, bien au contraire. A la tête d’un orchestre de l’Opéra de Marseille aux couleurs verdiennes en diable, et du chœur préparé par Emmanuel Trenque, le directeur musical Paolo Arrivabeni, dont on sait l’affection pour l’œuvre du natif de Roncole, propose une lecture précise, subtile et limpide inspirée par les principes du compositeur : aller droit à l’action et à l’émotion.
Si ce Don Carlo frappe les esprits, il le doit aussi à une équipe scénographique inventive groupée autour du metteur en scène Charles Roubaud. Avec ce dernier, une chose est certaine, le néophyte qui assiste à la représentation n’aura aucun effort de compréhension à faire. Foin de modernisation ou d’actualisation plus ou moins bienvenues : nous sommes en Espagne au XVIe siècle et les somptueux costumes signés Katia Duflot sont là pour le rappeler. Le décor minéral et sobre d’Emmanuelle Favre est mis en valeur par les lumières de Marc Delamézière et accueille avec bonheur les projections de Virgile Koering. Une scénographie dramatiquement sombre qui, à l’instar de la musique, va à l’essentiel et nous transpose sans trop de difficultés au temps de l’Inquisition. Charles Roubaud y installe et fait vivre les protagonistes en réussissant à leur donner de la chair et des sentiments.
Enfin, si le spectacle obtient un accueil enthousiaste alors que minuit s’approche, c’est grâce à une distribution particulièrement homogène, efficace et talentueuse. En choisissant de confier le rôle d’Elisabetta à Chiara Isotton (photo à g.), Maurice Xiberras, directeur général de l’Opéra de Marseille, a joué gagnant. La prise de rôle s’est transformée en succès mémorable pour la soprano ; reine sensible et délicate, toujours sur le fil de l’émotion mais jamais en difficulté. La voix est précise et souple, maîtrisée et séduisante. A ses côtés, la mezzo Varduhi Abrahamyan offre une Eboli parfaite. Passionnée, tourmentée, déchirée, même, elle incarne son personnage avec une noblesse que l’on retrouve dans sa voix qui cisèle ses sentiments. Une grande interprétation. Caroline Géa campe idéalement Tebaldo, page de la reine espiègle et souriant et la voix de Cécile Lo Bianco descend du ciel…
Le Don Carlo de Marcelo Puente (photo à dr.) est convaincant ; il a le physique d’un rôle qu’il embrasse scéniquement à bras le corps. De la jeunesse, l’artiste argentin possède la fougue, l’inconscience et la passion exacerbée. Ténor précis et puissant il séduit aussi vocalement. Il y a cinq ans, Nicolas Courjal prenait ici le rôle de Filippo II. Il retrouve aujourd’hui l’Opéra de Marseille, scène qu’il affectionne particulièrement, dans les mêmes costumes. Excellent dans les rôles de « méchants » (il le sait et le regrette à demi-mots), il l’est encore en offrant ses traits et sa voix au tyran espagnol. Sombre, tourmenté, le chanteur traduit les contradictions et les interrogations royales avec épaisseur et sensibilité.
Prise de rôle pour Jérôme Bouteiller en Posa : là encore, le choix est plus que satisfaisant, le baryton unissant ses qualités scéniques à la puissance et la précision de son instrument. Le Grand Inquisiteur de Simon Lim est inquiétant à souhait, puissant et sombre. Jacques Greg Belobo, Christophe Berry et Samy Camps complètent idéalement la distribution, de même que le chœur des députés flamands composé de Lionel Delbruyère, Jean-Marie Delpas, Florent Leroux-Roche, Jonathan Pilate et Dmytro Voronov.
Michel Egéa
La saison 2022/23 de l’Opéra de Marseille est désormais connue et la location est ouverte. Macbeth (Verdi) Elisabetta regina d’Inghilterra (Rossini, version concertante), Giovanna d’Arco (Verdi, version concertante), L’Auberge du Cheval Blanc (Benatzky), Carmen (Bizet), Nabucco (Verdi) et Les Huguenots (Meyerbeer) sont au programme. Renseignements et réservations : opera.marseille.fr
Photo © Christian Dresse
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