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La Gioconda aux Chorégies d’Orange 2022 – Morte à Venise – Compte rendu
Poursuivant sa politique de « redécouverte » d’œuvres lyriques peu données, parfois presque oubliées, mais qui parlent au public, Jean-Louis Grinda, après le Mefistofele de Boito en 2018, proposait en ce début d’août 2022, sa vision en cinémascope de la Gioconda d’Amilcare Ponchielli, ouvrage qui n’avait plus été donné à aux théâtre antique depuis trente-neuf ans ! Une gageure pour le metteur en scène et directeur des Chorégies assumant totalement la prise d’un risque qui existait réellement puisqu’il a fallu attendre les derniers jours avant la représentation afin de voir se remplir les gradins, désormais restaurés, du théâtre antique.
© Gromelle
De toute la partition, c’est certainement la Danse des heures qui sonne le plus aux oreilles du grand public, vulgarisée qu’elle fut – avec quel succès ! – par le Fantasia de Walt Disney. Mais La Gioconda, est surtout un opéra dont le livret, inspiré du drame en prose de Victor Hugo « Angelo, le tyran de Padoue » conte une histoire d’amour, de vengeance, d’altruisme qui, bien entendu, se termine mal pour l’héroïne. Elle a des faux airs de Tosca, cette Gioconda, chanteuse de son état qui offrira son corps au méchant afin de sauver Enzo, celui qu’elle aime en vain. Mais au lieu de poignarder l’affreux, elle se suicidera, permettant à Enzo de s’enfuir avec Laura, celle qu’il aimait depuis bien longtemps. Morte à Venise d’avoir aimé, tel est le résumé bien trop succin de deux heures et demi d’un ouvrage qui a pour cadre la Sérénissime au temps des doges, de l’inquisition et du carnaval.
© Gromelle
Pas de débauche de décors et de dépenses inutiles pour la mise en scène de Jean-Louis Grinda, qui connaît parfaitement les limites et les contraintes du lieu. Devant les projections des vidéos intelligentes d’Etienne Guiol et Arnaud Pottier, le metteur en scène profite des masses mises à sa disposition, trois chœurs (Avignon, Monte-Carlo, Toulouse) et un corps de ballet (Avignon), pour proposer des tableaux de bon goût servis par des déplacements maîtrisés et des costumes en totale harmonie avec la Venise du XVIIème. Bien vu au regard des difficultés pour matérialiser scéniquement les sentiments des protagonistes sur un plateau XXXL !
© Gromelle
Arrivée au dernier moment pour pallier la défection de Saioa Hernandez dans le rôle-titre, la soprano Csilla Boross (photo) était confrontée à l’espace antique pour la première fois de sa carrière. Elle s’en est plutôt bien sortie vocalement, aigus puissants et projection maîtrisée, mais aurait gagné en présence si elle avait pu travailler depuis le début sur la mise en scène. Nous avons hâte de l’entendre dans son rôle fétiche d’Abigaïlle pour un Nabucco programmé à Marseille en mars et avril prochains !
A ses côtés le Enzo de Stefano La Colla ne nous a pas convaincu. Quelques entrées approximatives, une projection parfois difficile, même s’il a gagné en puissance et en présence au fil de la représentation le ténor sicilien, qui débutait lui aussi aux Chorégies d’Orange, n’a pas fait l’unanimité. Quant au Barnaba du baryton Claudio Sgura, noir et malsain comme le veut le rôle, il était bien à sa place tout comme La Cieca, mère aveugle de l’héroïne, à laquelle Marianne Cornetti donne une belle épaisseur vocale et une présence scénique indéniable.
Mais une chose est certaine, en ce premier samedi d’août et pour tirer le rideau sur les Chorégies 2022, c’est le couple composé par Laura, Clémentine Margaine (Laura) et Alexander Vinogradov (Alvise Badoero), qui a emporté les suffrages, scéniquement et vocalement. Clémentine Margaine procure une dimension toute de puissance et de sensibilité à une Laura qui déborde d’amour et d’humanité. Son beau mezzo, puissant, riche et limpide s’impose sans mal et s’attire un beau succès. Tout comme la basse russe qui confère au duc Badoero le côté sombre et violent qui sied au rôle.
Daniele Gallegari © DR
A la tête du chœur monumental et de son orchestre philharmonique de Nice (dont il est le directeur musical) qui sonne bien et ne tremble pas face aux rafales du vent du soir qui n’était pas le mistral, Daniele Callegari livre une lecture très personnelle de la partition de Ponchielli qui ne manque pas d’intérêt. De la puissance lorsqu’il en faut, de l’émotion aussi et un accompagnement, à notre sens, idéal pour le grand air « Suicidio » de la Gioconda à l’ouverture du 4e acte, tout cela empreint de couleurs, et de précision. Et au bout de la soirée un bel accueil fut réservé à cette production par un amphithéâtre copieusement garni.
Michel Egéa
Ponchielli : La Gioconda – Chorégies d’Orange, Théâtre antique, 6 août 2022
Photo © Gromelle
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