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Festival Musiciennes à Ouessant 2022 – Vaut le voyage – Compte rendu
Il y a des festivals où il faut être parce que cela fait bien. Musiciennes à Ouessant serait plutôt de ceux où il faut aller parce que cela fait du bien. Difficilement accessible, ne serait-ce que par le nombre limité des hébergements, l’île au large d’où finit la terre accueille cependant depuis 2001 un festival où chacun est le bienvenu. À sa tête, la pianiste Lydia Jardon, femme et musicienne de caractère, nourrie d’excellence et, chacun des festivaliers peut en témoigner, la plus généreuse des hôtesses.
Lydia Jardon © Justine Darmon
L’île aux femmes
L’île d’Ouessant étant surnommée l’île aux femmes – parce que les hommes autrefois étaient tous en mer – on pourrait croire que c’est l’histoire de l’île qui a donné son identité à ce festival de musiciennes. On se tromperait : Musiciennes à Ouessant est une histoire d’amour et de rencontre. « De même qu’on peut avoir un élan de cœur pour un être, on peut l’avoir pour un lieu : Ouessant fait partie de moi, de ma vie », raconte Lydia Jardon qui découvre l’île comme très jeune enseignante de piano d’une élève qui y vivait le week-end et dont les partitions froissées par l’humidité sentaient le feu de tourbe. « J’y suis toujours revenue, pendant des années. Et puis, en 1998, j’y ai créé une académie d’été. Une douzaine de pianos prenaient la mer, à l’époque ils n’étaient pas chargés dans des containers, les pianos virevoltaient dans le ciel au bout d’une grue… »
À l’origine du festival proprement dit, il y a une pianiste bosniaque que Lydia Jardon rencontre à Sarajevo et fait travailler à Ouessant. Martyre des camps, la pianiste était l’incarnation de la tristesse, mais ses propres compositions faisaient entendre la grâce, la colère, le feu ardent. « Il pleuvait, il y avait beaucoup de brume, je me suis perdue dans la lande, plongée dans ce que je venais de vivre avec cette jeune pianiste et compositrice qui s’interrogeait, comme beaucoup avant elle, sur sa légitimité à composer. C’est là qu’est née l’idée des Musiciennes à Ouessant en symbiose avec l’histoire de l’île. Je pouvais m’assigner comme mission de mettre en lumière des femmes qui, de leur vivant, ont été mises sous le “boisseau socioculturel”, qui composaient pour les tiroirs ou sous des pseudonymes masculins. J’étais une pionnière de ce genre d’initiative et j’aime bien l’idée d’être cette femme à la proue du bateau, comme quand je suis arrivée à Ouessant la première fois… »
Tatiana Probst © Capucine de Chocqueuse
Musiciennes d’hier et d’aujourd’hui
Aux côtés de Lydia Jardon, la pianiste Alexandra Matviesvkaya et la violoniste Yuri Kuroda font partie de celles qui servent la musique avec le même souci d’excellence. Au programme de cette année – et sans entrer dans le détail de quatre jours de musique bien remplis – les 24 Préludes de Chopin, dans une interprétation particulièrement émotionnelle de Lydia Jardon, et à quatre mains la Fantaisie en fa mineur de Schubert ; du Grieg, du Debussy, du Vuillemin et beaucoup d’autres parce que servir les compositrices n’impose nullement de rejeter les compositeurs. La découverte – du moins pour la majorité d’entre nous – de la grande et souvent brahmsienne Sonate en la mineur pour violoncelle et piano de Marie Jaëll (1846-1925). Les mélodies très françaises de Pauline Viardot (1821-1910) et de la Luxembourgeoise Lou Koster (1889-1973) contrastant avec l’inspiration rhénane de Clara Schumann (1819-1896) et l’impressionnante complexité harmonique d’Alma Mahler (1879-1964), toutes chantées par la jeune Tatiana Probst qui combinait ici les rôles de soprano et de compositrice, avec notamment la création de Demande aux étoiles, commande du festival.
Florentine Mulsant © Vahan Mardirossian
Car depuis quelques années, Musiciennes à Ouessant invite des compositrices bien vivantes à partager leur travail avec celui de leurs aînées dans la carrière. Florentine Mulsant, dont on a écouté en création mondiale Jubilo pour piano à quatre mains, est même devenue la marraine du festival : une évidence pour cette grande dame de la musique d’aujourd’hui, d’une bienveillance rare avec ses interprètes, ses auditeurs – journalistes compris – et qui entretient des relations fusionnelles avec la mer et les îles. L’une de ses interprètes a une jolie formule à son propos : « C’est toujours un bonheur de travailler les œuvres de Florentine Mulsant. Elles sont accueillantes, elle nous ouvre grand la porte et il y a beaucoup à découvrir à l’intérieur… » À une génération d’écart, et toutes questions de langage mises à part, Florentine Mulsant et Tatiana Probst ont en commun l’ambivalence : leurs musiques ne sont jamais aussi lumineuses qu’elles s’affichent, prises souvent dans les brumes de l’inquiétude ou comme traversées d’angoisses. Comme l’île d’Ouessant, finalement…
Alexandra Matvieskaya (piano), Yuri Kuroda (violon), Sarah Jacob (violon) © DR
Prendre le temps
Pendant quatre jours, les concerts se succèdent, les matins et les soirs dans l’église Saint-Pol Aurélien et, cette année pour la première fois, autour d’un piano Steinway dans la lumière vive d’un hôtel à quelques centaines de mètres de là, à l’heure du thé. Ce qui ouvre le festival aux visiteurs à la journée tout en réservant les soirées à ceux qui ont le privilège de dormir sur l’île au remarquable silence. Et de laisser le temps entre deux pour la promenade au phare et la méditation sur les chemins spectaculaires, sous des ciels littéraires entre bruyères et falaises, parmi les fantômes qui sillonnent la lande. Musiciennes à Ouessant est un festival qui vaut le voyage. Celui qui nous pousse à courir les cinquante kilomètres de sentiers côtiers et celui, intérieur, en compagnie des compositrices exhumées des silences de l’histoire, de leurs consœurs contemporaines et d’une famille de musiciennes qui leur rendent hommage. Une seule contrainte : penser à réserver les hébergements au début du printemps si l’on veut avoir une chance de faire partie de la famille l’été.
Didier Lamare
21e édition du festival Musiciennes à Ouessant, du 1er au 4 août 2022 :
musiciennesaouessant.com/
Lydia Jardon :
www.lydiajardon.com/
Florentine Mulsant :
www.florentinemulsant.com/
Tatiana Probst :
www.tatianaprobst.com/
Photo © DR
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