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Les Troyens sous la direction de François-Xavier Roth à l’Opéra de Cologne - Scrupuleux et galvanisé - Compte-rendu
Après Munich (1), Les Troyens reviennent en Allemagne, à Cologne cette fois. François-Xavier Roth est à l’œuvre, poursuivant dans cette ville dont il est Generalmusikdirektor son cycle des opéras de Berlioz, à la suite des précédents Benvenuto Cellini et Béatrice et Bénédict (2). Le résultat confirme tous les espoirs, comme on s’en serait douté de la part de ce chef expert comme peu de ce répertoire. C’est aussi la première production à la charge du nouvel intendant de l’Opéra de Cologne, Hein Mulders, qui prend un éclatant départ dans ses fraîches attributions.
La mise en scène revient à Johannes Erath (avec Heike Scheele pour la scénographie et les costumes, et Andreas Grüter aux lumières), s’intégrant dans le contexte de la salle provisoire de l’Opéra, l’ancien palais d’exposition StaatenHaus (en attente de la rénovation du théâtre, envisagée pour 2024). Cette salle ne constitue pas un théâtre en tant que tel, mais plutôt un vaste espace sans cintres. L’orchestre se retrouve ainsi dans une fosse créée pour l’occasion, autour de laquelle tourne un plateau en forme de circuit rond où s’ébrouent les personnages. La conception scénique verse dans l’allégorie, avec quelques éléments symboliques de référence grecque antique (flèche lumineuse, statuaires) mais aussi fantaisistes (une baignoire d’où émergent Cassandre et Didon !) dans un apparat de costumes pris à toutes les époques en phase cependant avec les situations, et une agitation de circonstance sous des variations de lumières aux effets saisissants. Un ensemble assez abouti et qui ne faillit pas à sa fonction d’illustration de la trame, passant de Troie à Carthage et du drame à des scènes plus évaporée.
Enea Scala ( Enée) & Veronica Simeoni (Didon)
La restitution musicale suit pour sa part fidèlement et scrupuleusement la partition, dans son édition intégrale finale (établie chez Bärenreiter), incluant toutes les reprises et les ballets. Seule petite divergence, la cadence qui clôt le duo de Cassandre et Chorèbe au premier acte (prise à la version de l’opéra scindé en deux parties) au lieu de la transition orchestrale. On attend cependant, de la part de ce chef toujours en quête de retour aux sources, une version des Troyens dans son état original, de 1858, publiée ainsi aux frais de Berlioz, avant qu’il la modifie (en 1861). Cette version originale est à notre sens plus attachante, sans les ajouts et suppressions plus tardifs, souvent en forme de concessions par rapport aux nécessités de l’époque (et notamment de l’Opéra de Paris, qui pour autant n’acceptera pas l’œuvre). Mais on croit savoir que Roth aurait cette version primitive dans de futurs projets. Attendons et espérons…
© Matthias Jung
La réalisation musicale à Cologne n’en reste pas moins superlative, à différents égards. On regrettera parfois certaines dispositions des chanteurs solistes sur ce plateau improvisé et contraignant, qui les relègue en fond ou de côté, au détriment de leur émission vocale, notamment pour l’Ombre d’Hector dans un lointain peu audible ou pour le duo Didon-Anna accolé sur un canapé déplacé en partie gauche. Broutilles… Puisque le chant s’exprime par ailleurs dans toute sa splendeur. Le ténor italien Enea Scala (nom prédestiné !) s’empare d’Énée avec une densité s’amplifiant après un premier acte moins affirmé, pour ensuite livrer un legato souverain tant dans les moments élégiaques (le duo du quatrième acte) que dans l’exaltation (la fin du premier tableau du cinquième acte). Une prise de rôle des plus accomplies ! Isabelle Druet reste la Cassandre assurée qu’elle avait déjà offerte (au Festival Berlioz, sous la direction de Roth (3) ). Veronica Simeoni incarne une Didon d’envergure, d’un lyrisme constant à travers l’endurance de son rôle, passant sans accroc des phases voluptueuses aux moments de pleine intensité. Une grande Didon ! Parmi les seconds rôles, Giulia Montanari, Adriana Bastidas-Gamboa et le vétéran au style accompli Nicolas Cavallier, exposent avec justesse Ascagne, Anna et Narbal, de même que les ténors Dmitry Ivanchey et Young Woo Kim pour les épisodiques et légers Iopas et Hylas. On serait plus réservé pour Insik Choi, figurant un Chorèbe un peu brut de décoffrage. Les petits rôles annexes s’insèrent au mieux. Et tous, dans cette distribution internationale, déclament avec une parfaite élocution française (sur une scène allemande !).
Adriana Bastidas-Gamboa (Anna) & Nicolas Cavallier (Narbal) © Matthias Jung
Le chœur de l’Opéra de Cologne, préparé par Rustam Samedov, s’épanche hardiment, en dépit de ses nombreux déplacements, depuis le plateau central, les côtés, la coulisse et jusqu’en partie haute au fond de la salle. Bien que peut-être, et parfois, avec trop d’ardeur, comme dans son chœur d’entrée, où placé au-devant il couvre l’orchestre en retrait : autre petite incidence du dispositif scénique. Mais il manifeste un bel emportement d’ensemble dans ses multiples interventions, et tout particulièrement pour ses voix féminines (ainsi, en fin du deuxième acte). Le Gürzenich-Orchester Köln (dont Roth est directeur), resplendit entre vigueur et infinies subtilités, dépourvu de vibrato sous une battue d’une extrême précision, jusques et y compris dans les tempos vifs (proches des indications métronomiques, comme pour l’animé deuxième ballet du quatrième acte). Un moment galvanisé, vocalement et instrumentalement, que le public salue comme il se doit par de longs et mérités applaudissements.
Sept représentations à suivre d’ici au 15 octobre. Il est encore temps ...
Pierre-René Serna
(1) www.concertclassic.com/article/les-troyens-lopera-de-munich-pour-linterpretation-musicale-compte-rendu
(2)
www.concertclassic.com/article/benvenuto-cellini-cologne-dedie-paris-et-lhumanite-compte-rendu
et :
www.concertclassic.com/article/beatrice-et-benedict-lopera-de-cologne-en-son-essence-delicate-compte-rend
(3) www.concertclassic.com/article/la-prise-de-troie-sous-la-direction-de-francois-xavier-roth-au-festival-berlioz-2019-une
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