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Le Turc en Italie à l'Opéra Royal de Wallonie/Liège – Musique, on tourne ! – Compte-rendu
Avec son personnage de poète qui imagine une intrigue en même temps que l’opéra se déroule sous les yeux du public, Le Turc en Italie a un côté pirandellien qui n’a pas manqué de séduire les metteurs en scène depuis un demi-siècle. Après la complexité du Palais enchanté de Rossi qu’il avait admirablement su traduire en la transposant dans un univers warlikowskien (spectacle présenté entre décembre 2020 et décembre 2021 à Dijon, Nancy et Versailles), Fabrice Murgia se retrouve confronté à un livret finalement bien plus simple, qu’il resitue dans l’atmosphère des studios de cinéma, en jouant sur le flou entre les sentiments que le « scénario » de Prosdocimo prête aux personnages et les affects véritablement éprouvés par les acteurs, Fiorilla et Selim devenant ici les têtes d’affiche d’une sorte de comédie sentimentale où la fiction rejoint la réalité, Don Geronio étant le producteur vieillissant qui a eu le tort d’épouser une starlette. En guise de décors, trois véhicules : la caravane de Prosdocimo installée devant une loge d’avant-scène, un camion qui abrite le bureau de Geronio et la loge de Fiorilla, et l’arrière d’un deuxième, dans lequel arrive Selim, qui contient surtout un grand lit où le bellâtre en costume blanc reçoit ses conquêtes.
Si le recours à la vidéo semblait parfois excessif dans Le Palais enchanté, au point de détourner l’œil des chanteurs en chair et en os pour l’attirer uniquement sur la projection en direct de leur image filmée, un équilibre bien plus satisfaisant a été trouvé pour Le Turc en Italie, une complémentarité sans concurrence, l’image filmée ajoutant le plaisir de gros plans expressifs sans jamais détourner de l’action qui se joue sur le plateau. Quelques gags – le camouflage du preneur de son – et clins d’œil – la scène du café se déroule dans un restaurant où Selim sert à sa belle quelques tranches de döner kebab, forcément. Le chœur apparaît d’abord revêtu de tenues totalement hétéroclites, voire fantaisistes (Zaida et Albazar seraient ainsi des punks à crête de coq, en quelque sorte), mais le bal masqué du deuxième acte permet à tous de se parer de masques et de costumes monochromes créant un joyeux effet multicolore.
Le Turc en Italie est sans doute le plus mozartien des opéras de Rossini, pas seulement à cause de la citation textuelle de l’entrée du commandeur, mais aussi par la finesse des ensembles ; c’est cette élégance qu’a à cœur de préserver le chef Giuseppe Finzi, qui tient aussi le pianoforte dans les récitatifs. Sa direction évite avec soin de grossir le trait ou de forcer les effets, ce dont on lui sait gré.
Plusieurs changements dans la distribution sont survenus entre l’annonce initiale de la saison et les représentations, mais l’œuvre n’en est pas moins fort solidement défendue. Après son Emilia d’Otello la saison dernière, Julie Bailly poursuit son parcours rossinien à Liège et défend son personnage avec conviction. Albazar n’a que quelques répliques et un air, mais Alexander Marev s’en acquitte de façon tout à fait satisfaisante. Premier changement notoire par rapport au cast prévu : Prosdocimo a finalement la voix de velours et la faconde de Biagio Pizzuti, et l’on est bien heureux d’entendre un vrai chanteur dans ce rôle que l’on a parfois tendance à confier abusivement à des artistes en bout de course.
Autre changement concernant Don Narciso : c’est à Mert Süngü qu’est confié le personnage, d’où la présence d’un véritable Turc sur le plateau de ce Turc en Italie. Le ténor est presque surdimensionné dans un rôle qu’il campe avec vaillance, mais on ne se plaindra pas qu’il en soit ainsi. Guido Loconsolo est un somptueux Selim, aux graves superbes, et parfaitement à l’aise dans son personnage de séducteur. Par ses mimiques, ses attitudes, ses gestes, Bruno de Simone incarne Don Geronio jusqu’au bout des ongles, et sa voix répond à chacune de ses intentions, ce qui fait de lui le digne successeur d’Enzo Dara dans ce répertoire.
Reste le cas d’Elena Galitskaya, dont la participation n’était pas non plus prévue au départ : de Maria Callas à Cecilia Bartoli, nos oreilles ont été habituées à des timbres plus corsés dans le rôle de Fiorilla, mais la soprano russe a une voix beaucoup plus légère, et c’est naturellement vers le suraigu qu’elle s’envole lorsqu’elle ornemente. Bien connue du public français – elle était récemment encore l’Amour dans l’Orphée de Gluck présenté au Théâtre des Champs-Elysées et participe à la tournée de La Vie parisienne organisée par le Palazzetto Bru Zane – Elena Galitskaya – était déjà Fiorilla à Dijon en janvier 2016 : de l’héroïne devenue ici actrice de cinéma, elle a la silhouette élancé et le jeu assuré, et son aisance et sa conviction, jusque dans le grand air tragique « Squallida veste, e bruna », emportent l’adhésion.
Laurent Bury
Rossini, Le Turc en Italie. Opéra royal de Wallonie – Liège, Opéra Royal, 21 octobre ; prochaines représentations les 25, 27 & 29 octobre 2022 / www.operaliege.be/spectacle/il-turco-in-italia-2022/
Photos : © ORW-Liège – J. Berger
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