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Adèle Charvet et le Poème Harmonique au Louvre – Moment de grâce – Compte-rendu
Avec l’installation de Louis XIV à Versailles au début des années 1680 tout changera et les Arts contribueront à l’éclat du plus grand roi du monde. Pour l’heure, le pouvoir est au Louvre, au cœur de Paris, et la musique, si elle est très présente, s’offre sous un jour bien plus intimiste. C’est cette atmosphère, entre la fin du règne d’Henri IV et le début de celui de Louis XIV, que les « Musiques au Louvre » du Poème harmonique évoquent.
Par-delà l’attrait qu’il exerce sur le papier, le programme interprété par Adèle Charvet (photo), entourée de Vincent Dumestre (théorbe et direction), Fiona-Emilie Poupar et Louise Ayrton (violon), Lucas Peres (viole de gambe), Simon Giudicelli (contrebasse) et Camille Delaforge (clavecin et positif) constitue un modèle d’intelligence et fluidité, qui mène d’un extrait du Ballet Royal de Flore de Lully à des pages de Cavalli. Dès la Plainte de Vénus sur la mort d’Adonis, placée en ouverture, toutes les qualités d’Adèle Charvet s’imposent : on est immédiatement séduit par un sens de la nuance et une justesse de ton qui continûment s’appuient sur une formidable malléabilité du matériau vocal - sans parler d’une musicalité innée qui dépasse la barre de mesure pour accorder au mieux la respiration au sentiment. Et ce dans les registres les plus variés : avec quelle justesse, la mezzo traduit-elle l’honneur blessé qui parcourt les Stances du Cid de Charpentier, avant de s’emparer avec autant d’aisance de L’auzel que sul bouyssou, air gascon de Moulinié, et de deux chansons anonymes, Le bossu maumarié et Quand je menais mes chevaux à boire ; cette dernière, enchâssée dans un accompagnement très dépouillé, se muant en un émouvant poème d’amour et de mort.
Soixante-dix minutes sans entracte ; longueur idéale : avec quelques ponctuations instrumentales bienvenues, signées De Lalande (deux extraits des Symphonies pour les soupers du roi (1703), Musette, Marche des Bergers, qui dépassent certes la période historique visée mais s’intègrent parfaitement), Uccellini et Buonamente, le programme, tout de concentration poétique, se referme par Cavalli – autant dire sur le moment où, pour reprendre les mots de Vincent Dumestre, « arrive, inéluctable, gigantesque, le show total venu d’outremonts : l’opéra ».
Mazarin avait commandé Ercole amante pour les noces de Louis XIV ; on joua finalement Xerse. Des extraits des deux ouvrages sont conviés (« E vuol dunque » pour le premier, « Luci mie » pour l’autre), auxquels s’ajoutent, toujours du maître vénitien, « Dell’antro magico » (Il Giasone) et, en conclusion, « Piangete occhi dolenti » (L’Egisto). Des choix parfaits, qui traduisent la découverte par la France d’un nouvel univers musical ; Adèle Charvet et ses partenaires les servent avec une intensité et une noblesse rares. Un moment de grâce, chaleureusement reçu par un public nombreux et conquis, que prolongent deux bis : Lully (« Amour, vois quels maux » de Cadmus et Hermione) et Cavalli (le « Lasciatemi morire » de Xerse, vécu jusqu’au bout de l’âme).
Alain Cochard
Photo © Marco Borggreve
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