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La Chronique d’Emilie Munera - Un Martinu pour Noël
Illuminations, odeur des marrons chauds, sapins devant les magasins… Noël approche ! Et pas de beau Noël sans ses fameux concerts. Pas de fête de la Nativité sans l'Oratorio de Noël de Bach, sans le Concerto pour la nuit de Noël de Corelli ou encore Tchaïkovsky et son Casse-Noisette. Partout en France, chœurs et maîtrises, ensembles et orchestres proposent un florilège de musiques venues du monde entier. Les programmes, avouons-le, se ressemblent souvent : concert de Noël baroque, vénitien ou germanique, carols, gospel ou Christmas crooners …
N’allez pas croire que je n’aime pas ces musiques traditionnelles, bien au contraire. Mais ne pourrait-on pas imaginer quelques programmes alternatifs, pour éviter la saturation ; ne pourrait-on pas entendre “un autre Noël” ?
L’un des noms qui me vient tout de suite à l’esprit, est celui de Bohuslav Martinu. Parce qu’il a composé pour le piano un album de trois pièces de Noël irrésistibles ; parce qu’il nous laisse trois chants de Noël, qui rappellent à quel point l’artiste était capable d'humour, et surtout parce qu’il est l’auteur d’un partition qui peut directement rivaliser avec Casse-Noisette : Špalíček (titre que l’on pourrait traduire par « recueil de contes »). Martinu décrit ce « ballet-revue » en trois actes pour soli, chœur d’enfants, chœur de femmes et orchestre (composé en 1932 et créé, dans sa première version, à Prague l’année suivante) comme ayant été inspiré de jeux populaires, coutumes et contes de fées. On y croise le Chat Botté, Cendrillon, un palais magique ou un cordonnier ami d’un papillon. La musique, inspirée du folklore morave, est emplie de couleurs chatoyantes et d’effets saisissants. L’orchestration brille d’originalité. Et quelle fraîcheur d'inspiration ! (1)
Bohuslav Martinu © DR
En plus d’être un beau spectacle de Noël, Špalíček pourrait faire l'objet de nombreux projets pédagogiques… en toute saison ! Car s’il me plairait d’entendre l’œuvre de Martinů en cette période de Noël, je serais tout aussi heureuse d’en profiter à Pâques, durant l’été ou à la Toussaint. Pourtant très enregistré (on ne compte plus les disques qui lui été consacrés ces dernières années), régulièrement joué en Grande Bretagne, célébré chaque année dans son pays natal par un festival (qui se tient en ce moment même, avec aussi des concerts en Allemagne et même ... au Japon !) (2), le compositeur tchèque a encore du mal à trouver sa place dans les programmes en France. Hormis quelques pièces de musique de chambre (le fameux Nonette) et quelques concertos sur la trentaine composés, son œuvre demeure peu jouée. Martinů aimait pourtant notre pays, au point de s’y installer et de devenir l’élève d’Albert Roussel. Le Pelléas de Debussy fut d’ailleurs « la plus grande révélation de sa vie ».
Alors pourquoi est-il si rare ? A l’heure où les salles de concert ont des difficultés à faire le plein, les programmateurs craignent-ils de ne pas séduire le public avec sa musique ? C’est certainement l’une des raisons de son absence. Pourtant, sur les quatre cents opus laissés par Martinů, influencés par le folklore, le jazz, les concertos baroques, la musique française ou les madrigalistes anglais, il y a forcément de quoi les combler.
Mon plus beau cadeau de Noël ? Entendre plus souvent les pièces de Bohuslav Martinu au concert : ses flamboyantes symphonies, la tendresse de certaines de ses pages chambristes, l’un de ses quatorze opéras ou ses nombreux concertos. Avis aux programmateurs, ce serait le plus merveilleux des présents.
Et si vous aimez les musiques de Noël traditionnelles, on ne vous en voudra pas ! D’autant que les grands ensembles et les grands chefs sont de sortie ! Le Concerto Soave propose un Noël Renaissance en tournée départementale dans les Bouches-du-Rhône jusqu’au 19 décembre. Rinaldo Alessandrini dirigera l’Oratorio de Noël à Lyon les 16 et 17 décembre. Dès le 15, c’est le Tchèque Václav Luks qui aura offert sa vision de ce même ouvrage à la Maison de la Radio. Ton Koopman et l’Amsterdam baroque Orchestra & Choir s’attaquent eux au Messie de Haendel à Strasbourg le 14. Le 17, à Nantes, le Chœur d’Angers-Nantes Opéra donnera un programme de Noël à la Basilique Saint-Nicolas, tandis que, côté Est (à l’abbaye de Reigny), un « Noël a cap(p)ella » par les Métaboles, inaugurera la résidence de l’ensemble de Léo Warynski à la Cité de la Voix de Vézelay.
Emilie Munera
(1) On pourra découvrir Špalíček avec, pour l’intégrale de l’ouvrage, la version de Jiri Belohlavec, à la tête de l’Orchestre Symphonique de Prague (Supraphon). Quant aux deux Suites, l’enregistrement de Neeme Järvi avec l’Orchestre symphonique national d’Estonie (Chandos) constitue une excellente option pour une première approche.
(2) Bohuslav Martinu Days 2022 (du 1er au 17 décembre)
www.martinu.cz/en/institutions/bohuslav-martinu-days/bohuslav-martinu-days-2022/
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