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​Pierre Bleuse dirige l’Orchestre National de France –Intense et cohérent – Compte-rendu

 
On attendait initialement Lorenzo Viotti au National pour un programme Schönberg, Mahler, Honegger, avec Joyce DiDonato en soliste. Une indisponibilité du chef a conduit Radio France à le remplacer par Pierre Bleuse, dans un programme totalement différent – et passionnant ! – tout entier placé sous le signe des Etats-Unis.
 
Il n’est plus besoin de présenter l’ouverture du Candide de Bernstein ; elle fait ici office de mise en jambe et ouvre la soirée de la plus souriante et tonique façon. Si le chef et le programme changent, la soliste prévue demeure à l’affiche et offre la création française de Camille Claudel : Into The Fire, une pièce de Jake Heggie (né en 1961) que DiDonato connaît particulièrement bien puisqu’elle en a été la créatrice à San Francisco le 4 février 2012, accompagnée par l’Alexander String Quartet. En 2014, à la demande du Berkeley Symphony, le compositeur entreprit d’orchestrer sa partition (créée dans cette nouvelle mouture en 2015), révélant des potentialités poétiques et dramatiques nouvelles. (1)

 

Jake Heggie © James Niebuhr

C’est le choc éprouvé lors de la découverte du film Camille Claudel (1988) de Bruno Nuytten, marqué par les formidables prestations d’Isabelle Adjani et Gérard Depardieu, qui a poussé Jake Heggie à composer, sur un texte de Gene Sheer, un très prenant portrait psychologique en sept tableaux de la sculptrice. On la suit depuis le jour de son départ à l’asile (en 1913 donc) jusqu’au au moment où, en 1929 – bouleversante conclusion – elle reçoit la visite de la sculptrice anglaise Jessie Lipscomb – « Thank you for coming. I thought everyone had forgotten » ...
 On verra Joyce DiDonato essuyer une larme à la fin de la pièce ... Rien de feint de la part d’une interprète qui, de bout en bout, incarne son personnage de la plus brûlante façon et trouve toujours dans l’écrin orchestral idéalement suggestif que lui offre Pierre Bleuse – mention spéciale aux bois du National, renversants de beauté, et à Luc Héry, son violon-solo ! – le point d’appui pour porter le sentiment à son acmé. Trop clairsemé en une période de vacances scolaires, le public mesure sa chance et ne cèle pas son enthousiasme.
 

© Concertclassic
 
A la création française d’une œuvre des années 2010, succède en seconde partie l’un des plus admirables ouvrages symphoniques étatsuniens de la fin du siècle dernier : Harmonielehre de John Adams (1984). Derrière le clin d’œil à Schönberg, le compositeur signe une foisonnante partition en trois volets ... qu’il n’est pas donné d’entendre tous les soirs à Paris ! Il semblerait qu’elle n’est pas passée sur les pupitres du National depuis près d’un quart siècle ... On la sait toute nouvelle aussi au répertoire de Pierre Bleuse. Le résultat n’en paraît que plus admirable, avec une première partie qui sait à la fois traduire l’énergie d’une inspiration retrouvée – après des mois d’impuissance créatrice dont on trouve le témoignage dans les propos du compositeur – mais aussi des moments de doutes que Pierre Bleuse comprend et restitue avec justesse. Et avec quelle autorité emporte-t-il ses musiciens dans la Blessure d’Amfortas centrale au cours de laquelle l’orchestre, chauffé à blanc, magnifie l’intensité douloureuse de la musique jusqu’au plus extrême point de tension (bravo aux trompettes !), avant que Meister Eckardt and Quackie ne conclue, exemplaire de richesse et de variété dans le coloris.
 
Grande soirée et programme d’une formidable cohérence que les auditeurs de France Musique auront pu suivre en direct et qui demeure disponible à la réécoute sur le site de la chaîne. Quant à Pierre Bleuse, on espère le retrouver rapidement à la tête d’une phalange avec laquelle, de toute évidence, le courant passe ! 

 
Alain Cochard
 

(1) On pourra le mesurer en comparant une captation réunissant Joyce DiDonato et le Brentano Quartet en 2018, disponible sur Youtube, avec l’enregistrement du concert.
 
 
Paris, Maison de la Radio, Auditorium, 23 février 2023 // disponible à la réécoute sur : www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/le-concert-du-soir/joyce-didonato-et-l-orchestre-national-de-france-sous-la-direction-de-pierre-bleuse-8157504
 
 
Photo © Concertclassic 

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