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Delphine Bardin en récital à la salle Cortot – Couleurs en fête – Compte-rendu
Chabrier, Séverac et Ravel : Delphine Bardin ne pouvait choisir programme plus fidèle à la mémoire de Vladimir Jankélévitch que celui qu’elle a donné dans le cadre de « Présences lointaines », une série dédiée à la mémoire du philosophe et musicographe, initiée par le Fonds de dotation Galaxie-Y. Lancé par Françoise Thinat, fondatrice et ancienne directrice du Concours de piano d’Orléans, ce dernier se donne pour mission d’œuvrer en faveur des interprètes et du répertoire français, avec un accent particulier mis sur les partitions rares.
Chabrier et Séverac : les noms de ces deux compositeurs ne sont certes pas inconnus du mélomane mais, à y bien regarder, on constate que les Pièces pittoresques (1881), cahier fondateur dans l’histoire de la musique de clavier française comme l’avait d’emblée compris César Franck, et la suite En Languedoc (1903-1904) n’encombrent pas les programmes. Euphémisme ... Qu’ils ont tort se disait-on écoutant Delphine Bardin l’autre soir à Cortot !
Ceux qui restaient sur le souvenir de Fauré inaboutis au disque n’auront pu qu’être surpris, étonnés même, par l’évolution du jeu de celle que le Concours Clara Haskil de Vevey avait distinguée en 1997. Quelle densité sonore, quel art du timbre de la part d’une interprète qui pense continûment la musique par la couleur. Un maître mot dans les Pièces pittoresques au cours desquelles Delphine Bardin parvient à un équilibre idéal entre la poésie et la sensibilité d’un compositeur amoureux des peintres impressionnistes (ainsi conduite, la main gauche de Sous-bois est à elle seule une leçon de musique – et de peinture !) et la bonhommie souriante, généreuse et profondément humaine de l’enfant d’Ambert. Facile de tomber dans le débraillé avec la Danse villageoise ou le Scherzo-valse ; nul risque ici tant la pianiste vise juste et exprime le suc de ces géniales miniatures.
Ecrit par Déodat de Séverac alors qu’il était étudiant à la Scola Cantorum, la suite En Languedoc traduit déjà la personnalité d’un créateur viscéralement attaché à une terre natale que, fuyant le milieu musical parisien où il étouffait, il retrouva vite pour le reste de sa trop brève existence (1872-1921). « Saint-Félix-du-Lauraguais et Céret sont en quelque sorte le pôle Nord et le pôle Sud de son œuvre » notait Jankélévitch (1), ajoutant que la musique de Séverac « agit puissamment sur l’imagination. » Un musique qui « sent bon » avait déjà – si bien – dit Debussy ...
Sous les doigts de Delphine Bardin les notes parlent aux sens. Dès Vers le mas en fête, vibrant d’impatience, on comprend que la partie est gagnée. Par la couleur : jamais de narcissisme sonore, ni de prosaïsme pittoresque de la part d’une interprète qui comprend ce que Jankélévitch a si bien saisi et formulé. « [Séverac], remarquait-il, suscite en nous, par le mystère poétique des associations et des résonances conditionnées, un ébranlement émotionnel qui est indirectement évocateur de paysages. » Jusqu’à la conclusion du Jour de la foire au mas, un charme profond s’exerce sur l’auditoire. En écoutant l’avant-dernière pièce, Coin de cimetière, au printemps, on a eu évidemment un pensée émue pour Aldo Ciccolini, fervent interprète de Séverac, qui repose à Saint-Félix-du-Lauraguais, tout près de la tombe du compositeur languedocien ...
La Sonatine de Ravel conclut avec, là encore, une intensité du timbre qui tranche sur le classicisme trop prudent, bleu layette, que l'on entend souvent dans cette composition. Mieux, Delphine Bardin sait que Ravel y ouvre son cœur ...
En bis, Idylle (1) de Chabrier et l’adorable Où l’on entend une vieille boîte à musique (ext. du Premier recueil de En vacances) de Séverac referment une soirée longuement applaudie. Bonne nouvelle, Delphine Bardin a prévu d’enregistrer le programme de son récital dans les mois qui viennent pour le label FY-Solstice !
Alain Cochard
PS : Un grand bravo à la personne qui avait la charge du réglage de l'instrument.
(1) "La Présence lointaine, Albeniz, Séverac, Mompou" - Ed. du Seuil - 1983
Paris, Salle Cortot, 3 avril 2023
Photo © delphinebardin.com
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