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Cendrillon de Massenet à l'Opéra de Limoges – On ne peut pas gagner à tous les coups – Compte-rendu
© Steve Barek
Ce n’est en tout cas pas à cause de la distribution, 100% francophone une fois encore, et constituée d’artistes parmi les meilleurs que l’on puisse souhaiter dans leurs rôles respectifs. Du chœur de l’Opéra de Limoges proviennent les nombreux personnages secondaires qu’exige le livret, membres dans la cour ou esprits entourant la fée-marraine de l’héroïne. Alors qu’elles ont interprété ailleurs des figures de premier plan, Caroline Jestaedt et Ambroisine Bré consentent à n’être ici que les deux méchantes sœurs, autrement dit à n’avoir presque rien à chanter autrement qu’en duo, voire en ensemble. Matthieu Lécroart confère à Pandolphe un timbre clair et une diction superlative, qui rendent les surtitres parfaitement superflus. On est heureux d’entendre enfin dans un rôle développé Julie Pasturaud, dont la vis comica et le superbe registre grave feraient une parfaite Quickly, par exemple. Marie-Eve Munger virevolte dans les vocalises de la Fée, la soprano québécoise leur conférant une couleur typique du répertoire français. Héloïse Mas montre elle aussi de quoi elle est capable dans ce type d’œuvre, et compose un Prince androgyne à souhait. Quant à Hélène Carpentier, elle poursuit la trajectoire exemplaire qui est la sienne, avec un rôle dont les exigences sont heureusement moins lourdes que l’Iphigénie de Gluck où elle s’était illustrée à Rouen la saison dernière, mais qui n’est pas pour autant une promenade de santé, Massenet exigeant de l’héroïne de compétences variées, même si sa Cendrillon est à la portée de certaines mezzos.
© Steve Barek
D’où vient, alors, que l’on n’éprouve pas l’enthousiasme espéré ? Est-ce parce que Robert Tuohy ne tire pas tout à fait le maximum de la partition, qui paraît ici avoir perdu un peu de l’esprit qu’on avait pu lui trouver ailleurs ? L’orchestre de l’Opéra de Limoges pourrait être plus brillant, peut-être, et mieux mettre en valeur tout ce qui relève du pastiche ou de la parodie, mais là n’est pas réellement le problème.
© Steve Barek
Non, si le spectacle laisse indifférent, c’est à cause de sa mise en scène, coproduite avec Angers Nantes Opéra, où elle a été présentée en… novembre 2018 ! Ezio Toffolutti sait imaginer de très beaux décors, des architectures majestueuses ou délabrées pour le palais du roi ou la maison de Pandolphe ; il les éclaire magnifiquement, la lumière sculptant l’espace pour créer d’admirables effets de clair-obscur ; il dessine des costumes colorés, amusants, judicieux. Tout cela est vrai, mais il manque le théâtre, il manque la direction d’acteurs. On ne sent à aucun moment la tendresse unissant Cendrillon à son père, et les sommets d’émotion passent inaperçus ; on s’ennuie ferme à la cour et le chœur tourne vite en rond, malgré les six danseurs et la chorégraphie signée Ambra Senatore ; la magie des apparitions de la fée se borne à une image initiale, et peine à se maintenir sur la durée. La représentation laisse donc un sentiment amer d’occasion manquée : les ennemis de Massenet auront beau jeu d’attribuer la chose à sa musique, mais la réussite d’autres productions, qu’elles soient éblouissantes ou contestables, prouve qu’ils ont tort, et sa Cendrillon n’a besoin que d’un peu de vrai et bon théâtre pour s’imposer.
Laurent Bury
(1) www.concertclassic.com/article/faust-lopera-de-limoges-comme-il-faut-faire-faust-compte-rendu
Massenet : Cendrillon – Limoges, Opéra, 14 mai ; dernière représentation le 16 mai 2023 // operalimoges.fr/agitateurlyrique/cendrillon
Photo © Steve Barek
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