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Roméo et Juliette à l’Opéra Bastille – Ah, lève-toi, fantôme ! – Compte-rendu
Les dernières représentations remontant à 1985, le Roméo et Juliette de Gounod semblait être devenu un opéra fantôme sur notre première scène nationale, après avoir longtemps été un pilier de son répertoire. Certes, la Salle Favart avait programmé l’œuvre, et avec grand succès, en 1994 et en 2021, mais on ne se plaindra pas que Paris la revoie moins de deux ans après. On s’en plaindra d’autant moins que son transfert sur la vaste scène de Bastille est une réussite, que l’on doit créditer tout d’abord à Thomas Jolly. Le choix du plus shakespearien des hommes de théâtre français aujourd’hui semblait aller de soi (on s’en persuadera encore un peu plus quand l’Opéra-Comique présentera sa vision du Macbeth Underworld de Dusapin en novembre prochain), mais encore fallait-il que l’idée en vienne aux décideurs.
Thomas Jolly © Anthony Dorfmann
On remercie Thomas Jolly ne pas avoir éprouvé le besoin de faire les pieds au mur, et d’avoir su monter ce Roméo et Juliette sans s’embarrasser de flashbacks à l’hospice ou de transferts psychanalytiques. Même si la grande structure tournante qui emprunte à l’escalier de l’Opéra Garnier paraît d’abord un peu biscornue, Bruno de Lavenère livre un décor efficace qui permet de fort beaux effets, notamment quand les costumes noir-blanc-rouge de Sylvette Dequest rendent un superbe hommage à la fameuse scène colorisée du Fantôme de l’Opéra dans la version de 1925. Les éclairages de Benjamin Travert, fidèle collaborateur de Thomas Jolly, exploitent parfaitement le lieu, y compris la salle. Les chorégraphies de Josépha Madoki convoquent le spectre de Robert le Diable pour la vision du tombeau qu’a Juliette au moment de boire le poison, une douzaine de mariées pétrifiées y étant soudain prise de frénésie (le ballet du quatrième acte étant ici donné, alors qu’il est régulièrement coupé dans Faust).
© Vincent Pontet - OnP
Outre des combats admirablement réglés, on admire aussi dans cette production l’évocation de scènes imaginaires : l’apparition féerique de la reine Mab, la fausse mort de Juliette dépeinte par Frère Laurent… Et peu importe que la peste, annoncée par le metteur en scène comme un de ses fils directeurs, ne soit plus mentionnée après l’ouverture. L’Opéra de Paris peut maintenant compter sur un spectacle qui parvient à séduire l’œil et l’esprit tout en proposant du vrai théâtre, et l’on espère qu’il sera régulièrement repris.
© Vincent Pontet - OnP
Et l’on espère que les distributions à venir seront composées avec le même soin. Si l’Académie de l’Opéra de Paris fournit quelques petits rôles (Thomas Ricart, Yiorgo Ioannou), on remarque aussi le Frère Jean d’Antoine Foulon. Doublure de Ludovic Tézier pour Hamlet, Jérôme Boutillier prête tout le mordant dont il est capable à la trop brève apparition du Duc de Vérone. Aux côtés de Huw Montague Rendall, Mercutio pétillant, et de l’ardent Tybalt de Maciej Kwasnikowski, Laurent Naouri impressionne en Capulet, autant dans la joie de la fête initiale que dans la sévérité dont il fait preuve lorsqu’il impose le mariage à sa fille. Jean Teitgen confère toute l’humanité possible à Frère Laurent, même si la mise en scène se moque aimablement du côté sulpicien de son long prêche quand il unit en secret les amants. Sylvie Brunet-Grupposo donne à Gertrude le relief qu’on pouvait attendre d’elle, et Lea Desandre met le public dans sa poche avec l’air de Stéphano. Mais bien sûr, ce sont les deux protagonistes que l’on guette, confrontés qu’ils sont aux fantômes de tant d’illustres prédécesseurs : Mirella Freni et Franco Corelli, Barbara Hendricks et Neil Schicoff, pour ne citer que deux des couples qui ont hanté jadis l’Opéra de Paris.
© Vincent Pontet - OnP
Disons tout de suite que le défi est relevé haut la main par Elsa Dreisig et Benjamin Bernheim. Tous deux offrent des timbres idéalement adaptés à ce répertoire, elle en conciliant par un doux miracle la clarté juvénile des premières scènes à la personnalité affirmée dans l’air du poison, lui en restituant au héros des couleurs françaises que l’on n’avait plus entendues depuis un certain temps. La virtuosité est aussi au rendez-vous, avec une Valse tout à fait maîtrisée pour Juliette (et très habilement chorégraphiée), des aigus généreux pour Roméo, dont on s’aperçoit une fois de plus que c’est un rôle bien plus éprouvant que celui de Faust.
Carlo Rizzi © Tessa Traeger
Préparés par Chien-Lien Wu, les Chœurs de l’Opéra se montrent eux aussi à la hauteur de l’enjeu, surtout dans les grands ensembles marquant les moments les plus sombres. Dans la fosse, la direction de Carlo Rizzi semble adopter des tempos un rien trop rapides au premier acte, mais trouve bientôt son rythme de croisière, l’orchestre mettant en valeur la modernité (eh oui ...) de la partition de Gounod.
Laurent Bury
Gounod : Roméo et Juliette. Paris, Opéra Bastille, 17 juin ; prochaines représentations les 23, 26, 27, 29, 30 juin ; 3, 4, 6, 7, 9, 11, 12 & 15 juillet 2023 (avec en alternance Pretty Yende en Juliette, Fraco Demuro en Roméo, Marina Viotti en Stéphano et Florian Sempey en Mercutio) // https://www.operadeparis.fr/saison-22-23/opera/romeo-et-juliette
Photo © Vincent Pontet - Opéra national de Paris
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