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Une interview de Théotime Langlois de Swarte – « Je me revendique totalement, en droite ligne, de l’héritage des Arts Florissants »
On connaissait le violoniste, parmi les tout premiers de sa génération, on l’a découvert chef en mars dernier, salle Favart, dans le Bourgeois gentilhomme de Molière/Lully mis en scène par Jérôme Deschamps.(1) Théotime Langlois de Swarte (photo) est présentement l’assistant de Louis Langrée sur la production du Zémire et Azor de Grétry qui tiendra l’affiche au Comique du 23 juin au 1er juillet, avec Julie Roset, Philippe Talbot, Marc Mauillon et Sahy Ratia entre autres. Langrée a confié à son jeune collègue la dernière représentation du 1er juillet. On a interrogé Théotime Langlois de Swarte sur ce nouvel aspect de son activité. Nouveau ? Peut-être pas tant que ça comme le prouve ce qu’il a confié à Concertclassic ...
Le public, qui vous connaît depuis un bon moment comme membre du Consort, un peu plus récemment comme soliste, vous a découvert dans le rôle de chef lors la production du Bourgeois gentilhomme à l’Opéra-Comique, dont vous avez assuré la totalité des dates en remplacement de Marc Minkowski. Comme s’est développée votre vocation de chef ?
Plusieurs expériences m’ont mené à la direction. En premier lieu, dans ma manière de jouer, d’interagir avec les collègues dans les ensembles de musique de chambre, Consort ou autres, j’ai toujours voulu initier la dynamique, le tempo à partir du violon. Une autre expérience, antérieure, à l’époque où j’étais encore à Perpignan – j’avais 17 ans – a été de diriger un opéra que j’avais composé. J’étais à la tête d’un ensemble d’une petite dizaine de membres - j’étais au violon, mais je dirigeais aussi. Mon opéra s’inspirait de Moby Dick, un roman qui m’a fasciné et dont j’avais tiré une partition d’une heure et demi au total alternant musique et dialogues. Ce n’était pas dans une grande salle, les décors étaient très modestes, mais nous étions dans les conditions d’un vrai spectacle. Ce qui a rendu l’expérience passionnante et instructive pour moi c’est que j’ai pu modifier en direct, durant les répétitions, ce qui ne fonctionnait pas dans ma partition. J’ajoute que Moby Dick faisait appel à un chœur d’enfants, que j’ai aussi dirigé.
Cela a été une expérience fondatrice. Je me suis toujours dit qu’il faudrait trouver le moyen de conjuguer le violon avec la direction, ou en tout cas la possibilité d’imprimer ma vision musicale sur un plus grand ensemble. Certains violonistes s’épanouissent dans le rôle de violon solo d’orchestre. J’avoue que les expériences que j’ai pu avoir ici ou là m’ont toujours laissé sur un sentiment de frustration. Tout en travaillant énormément avec William Christie, qui est devenu une sorte de père spirituel pour moi, je n’ai jamais été violon solo des Arts Florissants – où je suis entré à 18 ans en tant que membre junior. William me voyait plus comme un soliste.
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N'ayez crainte,Théotime Langlois de Swarte ne délaisse pas le violon ! On pourra le retrouver à diverses reprises cet été, au côté de l'Orchestre de l'Opéra Royal de Versailles, pour un programme tout Bach puis, à la rentrée, avec le Trio Dichter et le baryton Samuel Hasselhorn dans un enregistrement conçu comme une invitation chez Robert et Clara Schumann (Harmonia Mundi ; sortie officielle le 25/08) © Marco Borggreve
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William Christie et les Arts Flo, justement. Comment le jeune artiste en plein envol que vous êtes se positionne-t-il par rapport à cette formation mythique dans l’histoire de l’interprétation baroque ?
William m’a énormément inspiré, que ce soit du point de vue de la direction ou de la vision musicale. Je me revendique totalement, en droite ligne, de cet héritage ! J’ai envie de poursuivre dans le sens d’une approche qui réunit la dramaturgie, le texte, la rhétorique baroque, une matière orchestrale dense mais souple, avec énormément de syllabisation pour le texte, approche qui me semble assez unique. Cette diction est propice à un discours extrêmement parlant, qui me touche profondément.
La direction c’est aussi de la technique, comment vous êtes-vous formé sur ce plan ?
J’ai pris des cours, j’ai travaillé beaucoup de points très techniques et abordé du répertoire bien plus récent que le baroque. Ce qui a été formidable avec l’expérience du Bourgeois gentilhomme, c’est de me retrouver « dans le bain ». Toutes les choses que l’on a pu apprendre en étudiant, c’est évidemment très bien et très utile de les avoir acquises, mais les mettre en corrélation directe avec ce qui se passe sur le plateau, avec l’orchestre demeure irremplaçable. La réaction d’un pianiste durant un cours de direction et celle d’un orchestre – avec sa force d’inertie – n’ont strictement rien à voir.
Je voudrais aussi insister sur le rôle essentiel de Michaël Hentz, mon professeur de violon au CNSMDP cinq ans durant. Il avait étudié pendant dix ans avec Celibidache et a énormément compté pour ce dont nous parlons. Son enseignement mettait l’accent sur la cohésion d’ensemble par la texture du son, sur la manière de fédérer un ensemble par la densité de la sonorité. Il donnait aussi des cours de musique de chambre et ne comptait absolument pas son temps pour ses élèves (quatre ou cinq cours par semaine parfois !). J’ai ainsi pu me permettre des expériences très nourrissantes. Un jour, par exemple, l’idée m’a pris de monter le Concerto pour violon de Brahms avec un petit ensemble : je suis allé chercher des volontaires dans les couloirs du Conservatoire (une quinzaine d’archets et un piano), et il nous a fait travailler ! Aujourd’hui, quand je suis face à un orchestre, j’applique des détails techniques acquis avec Michaël Hentz concernant l’émission du son ; tout en mettant en pratique la rhétorique baroque apprise avec William Christie.
Le Bourgeois gentilhomme © Stefan Brion
Beaucoup de texte, peu de musique dans le Bourgeois gentilhomme ... N’avez-vous pas parfois ressenti une forme de frustration en tant que chef ?
C’est à la fois extrêmement formateur et très plaisant de revenir à l’origine de la comédie-ballet, aux origines de Lully en fait. C’est un peu comme un repas dans un restaurant étoilé, avec des plats pas très copieux mais aux saveurs et textures exquises. En deux minutes, il faut trouver le caractère ; la vignette musicale doit être énergétique, savoureuse et entraîner tout le plateau. J’ai conduit l’orchestre dans cet esprit, avec le souci de garder l’énergie et la saveur de chaque pièce. En étant attentif aussi à rechercher beaucoup de contrastes entre les morceaux.
C’était votre premier contact avec les Musiciens du Louvre ?
Complètement et je dois remercier Marc Minkowski et Louis Langrée de leur confiance. Ce dernier a été très à l’écoute et m’a donné quelques conseils entre les représentations afin que je parvienne au geste le plus juste possible. Quant aux Musiciens du Louvre, même si cette musique n’est plus aujourd’hui leur cœur de répertoire, ils ont manifesté une vitalité, une disponibilité, une envie de retrouver ce Lully, qui a fait l’objet d’un des tout premiers enregistrements de Marc Minkowski.
Louis Langrée en répétition © Stefan Brion
Vous êtes en ce moment chef assistant de Louis Langrée pour le Zémire et Azor de Grétry que l’on découvrira dans la mise en scène de Michel Fau (avec Les Ambassadeurs – La Grande Ecurie en fosse) du 23 juin au 1er juillet. Dernière représentation que Louis Langrée vous a d’ailleurs confiée. Comment se déroule la préparation du spectacle ?
C’est un pur bonheur que de participer à un projet scénique dans sa globalité, depuis le tout début des répétitions. J’ai été en dialogue permanent avec Louis. Il possède un métier extraordinaire et il est assez vertigineux pour quelqu’un dans ma position de voir qu’il est capable, très humblement, de me demander mon avis sur tel ou tel point. L’échange a été d’une extrême richesse musicale : nous avons beaucoup parlé de la partition, des caractères. Je constate que, sans l’exprimer de la même façon, nous avons finalement une sensibilité identique ; nous nous retrouvons dans un langage commun. J’apprends beaucoup, immensément, de lui, de sa technique de chef, de sa manière de faire travailler l’orchestre. Il s’intéresse beaucoup aussi à mes idées sur la conception du son des cordes.
Cela s’inscrit dans l’esprit d’une production où règne une vraie atmosphère de troupe – tout fonctionne de manière très fluide. Le spectacle s’en ressent : on y trouve une jubilation face à la musique – très candide, mais aussi très sincère –, beaucoup de fraîcheur et de vitalité, des caractères très marqués. C’est absolument réjouissant ! L’opéra est une vraie « drogue » ; venir tous les jours sur les répétitions, voir les choses en évolution permanente est une chose passionnante. Louis m’a donné l’opportunité de diriger l’orchestre lors de la pré-générale. C’est quelqu’un qui donne, qui partage, qui transmet. Un jour, après avoir fait six heures de répétition avec orchestre, alors qu’il restait trois heures de scénique le soir, il est arrivé à un moment où je me trouvais face à l’orchestre. Il m’a dit : « reste où tu es, dirige ; je regarde le spectacle ». Il s’est installé dans la salle et a pris énormément de notes sur ce que je faisais ; nous avons beaucoup discuté ensuite. C’est une chance incroyable pour moi. ».
Propos recueillis par Alain Cochard, le 22 juin 2023
Grétry : Zémire et Azor Les 23, 25, 26, 28 & 29 juin (dir. Louis Langrée) ; le 1er juillet 2023 (dir. Théotime Langlois de Swarte)
Paris – Opéra-Comique
https://www.opera-comique.com/fr/spectacles/zemire-et-azor
Photo ( Théotime Langlois de Swarte en répétition, Michel Fau, metteur en scène, au fond) © Stefan Brion
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