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Portrait de Clelia Cafiero, cheffe d’orchestre – « Je vis le métier passion auquel j’aspirais »

 

 
C’est l’histoire d’un coup de foudre musical. En février dernier, la production de Carmen signée Jean-Louis Grinda était donnée à l’opéra de Marseille.(1)  Le metteur en scène qui, rappelons le, assure la direction générale des Chorégies d’Orange, entre autres activités dans l’univers lyrique, n’avait pas encore choisi de directeur musical pour sa Carmen estivale proposée au pied du mur romain ; à la pré-générale marseillaise, il découvrait Clelia Cafiero. La jeune femme était impressionnante de maîtrise, de technique et de joie communicative. Sous le charme, Grinda est revenu pour l’ultime représentation, dont la direction avait été confiée à la maestra, qu’il suivait depuis les coulisses afin d’en apprécier pleinement la technique. « Mais ce qui m’a le plus marqué, confie-t-il, c’est la joie qui se lisait sur les visages des interprètes placés sous sa direction… ». Convaincu qu’il tenait là une perle rare, à l’entracte, il proposait à Clelia Cafiero de diriger aux Chorégies.
 
C’est ainsi qu’âgée de 35 printemps, elle rejoint aujourd’hui Jean-Claude Casadessus, Myung-Whun Chung, Michel Plasson et Mikko Franck sur la liste – prestigieuse – de ceux qui ont dirigé l’œuvre de Bizet à Orange depuis 1968… Devenant aussi la deuxième femme à conduire ici un ouvrage lyrique après Nathalie Stutzmann en 2018. De ce qui pourrait être considéré comme une première consécration, elle préfère parler d’une étape dans la naissance de sa carrière.
 

© Christian Dresse
 
Clélia Cafiero a donc vu le jour il y a trente-cinq ans du côté de Naples. « Personne dans ma famille n’était musicien, confie-t-elle. Mais dès l’âge de 5 ans la musique est entrée dans mon quotidien. J’aimais le piano et le chant… Mes parents ont tout de suite compris que je ne pourrais pas m’en passer. Ils m’ont inscrite au conservatoire. » Des études menées avec bonheur par une jeune fille qui ambitionne une carrière de pianiste soliste. « J’ai participé et très bien figuré à plusieurs concours et un jour, après un beau concert de musique de chambre avec une copine, cette dernière m’a parlé d’un appel à candidature ouvert pour intégrer la Scala de Milan comme pianiste d’orchestre. La Scala, c’était le Graal ; les plus grands solistes et les chefs les plus réputés y étaient invités. Je passe ce concours et je le gagne … »
 
Pendant huit ans, Clelia Cafiero va vivre de riches heures musicales en Lombardie, découvrant et apprenant auprès des meilleurs, voyant s’ouvrir devant elle les incontournables répertoires lyriques italien, français, allemand… « Jusqu’au jour, se souvient elle, où je suis allée frapper à la porte du maestro Pappano en lui disant que je ne dormais plus la nuit et que je voulais diriger. J’accompagnais alors au piano les répétitions de Ma Mère l’Oye de Ravel. A cette époque le maestro répétait aussi Manon Lescaut au Royal Opera House à Londres et il m’a proposé de venir assister à ces répétitions … »
 
La révélation pour la jeune femme qui, en 2016, s’éloigne de ses ambitions de soliste pour s’orienter vers la direction, convaincue que c’était le bon choix. Elle postule pour devenir cheffe assistante à Marseille où elle va travailler pendant deux ans aux côtés de Lawrence Foster. « C’était pendant la période de la pandémie et ce fut une vraie chance pour moi. J’étais la seule en place à la direction musicale et ça m’a permis de diriger pas mal de concerts pour le streaming, de travailler et de me faire connaître. » Tant et si bien que lorsque les choses sont redevenues normales, Clelia Cafiero a été sollicitée en France, en Espagne, au Portugal et en Pologne. « Je me souviens que lors du dernier concert covid, le directeur de production du d’Angers-Nantes Opéra était là et m’avait sollicitée pour une production que j’ai dirigée l’an dernier. Dans la foulée ils m’ont demandé de diriger Tosca la saison prochaine. » Cette période marque le départ de la carrière dont elle rêvait.
 
« Le métier de chef d’orchestre c’est vivre en permanence des découvertes, affirme-t-elle. Je pense que l’on naît avec le talent et la passion de la musique mais diriger c’est aussi beaucoup d’expérience. Etudes de piano et de chant, pianiste répétitrice et soliste puis assistante de directeur musical, j’ai eu la chance de vivre toutes ces étapes qui m’ont fait comprendre la structure du métier pour arriver à construire un opéra ou une symphonie. J’ai acquis des capacités vocales et instrumentales qui me permettent aujourd’hui de donner des conseils et des orientations, en toute connaissance de cause, à des solistes lyriques ou à des musiciens. »
Les conseils, les orientations, elle-même a su les recevoir et les accepter de la part de ses maîtres pour en faire ses choux gras. Parmi les derniers en date, ceux du maestro Foster à Marseille. « Il a été une personne extraordinaire pour moi. Il m’a donné la première chance de prendre la baguette, ce que ne faisaient pas les autres chefs dont j’étais assistante, peut être parce que j’étais une femme. Il avait de la considération et de l’estime à mon endroit et très souvent il me demandait ce que je pensais d’une phrase musicale. Nous en parlions et, à la fin, il me confiait la baguette en me disant « fais-moi voir »… J’ai beaucoup appris à ses côtés, notamment à être efficace dans les répétitions du répertoire symphonique. C’est un maître dans ce domaine. Il m’a livré des secrets pour qu’en deux heures de répétition, par de simples propositions, je puisse faire changer le son, l’ensemble et la concentration même d’un orchestre.» Une façon de travailler qui a certainement compté dans la décision prise par les tourangeaux de la nommer il y a quelque temps première cheffe invitée de l’Orchestre symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours.
 

© Christian Dresse
 
Les Chorégies d’Orange sont donc la nouvelle étape d’une jeune carrière qui vient de la voir triompher à Québec où elle a, selon ses propres dires, « exporté la tradition italienne au Canada avec Puccini et un énorme travail sur les cordes ». Désormais elle se retrouve face au mur avec 8000 personnes dans son dos et quatre répétitions « tutti » seulement avec, en prime, une générale filmée par France Télévision. « Quand je regardais les Chorégies à la télé, je voyais le bon côté des choses, les meilleurs artistes du moment, l’ambiance mais je voyais aussi l’environnement, le plein air, le mistral, parfois la pluie. Lorsque Jean-Louis Grinda m’a proposé de venir, l’inconscience de ma jeunesse m’a fait dire oui sans hésiter. Je suis arrivée ici avec le cœur plein de joie ce qui permet d’amoindrir les difficultés ! Mais c’est vrai que c’est intense, le planning est très serré. Pendant quatre jours j’ai effectué des trajets entre Orange et Lyon pour travailler avec l’orchestre à l’auditorium et le soir répétitions sur le plateau du théâtre avec les solistes jusqu’à minuit. En fait c’est fatiguant pour tout le monde car la journée est décalée ; on commence à 16 heures pour finir au milieu de la nuit. Heureusement que l’équipe des Chorégies est très opérationnelle, attentive et disponible. « Il a aussi fallu prendre en compte le fait que l’orchestre est un symphonique ( l'Orchestre national de Lyon ndlr )et n’a pas l’habitude de jouer Carmen. J’ai dirigé des répétions à Lyon pendant lesquelles je chantais pour mettre les musiciens tout de suite dans l’opéra et pour leur donner les nuances. Enfin, on connaît les contraintes du plein air et on en tient compte mais le plus important ce sont les balances car au théâtre antique il n’y a pas de fosse. »

Plein air, orchestre, balances… De quoi combler la passion pour le son de Clelia Cafiero. « Lorsque j’ai débuté le piano, pour moi c’était mécanique. Puis j’ai découvert que même le piano qui est un instrument difficile de ce point de vue, peut proposer une importante gamme de sonorités. A partir de là j’ai commencé à écouter beaucoup de musique symphonique, les mêmes œuvres interprétées par différents orchestres ; j’adorais repérer les différences ce qui stimule la recherche de sons différents qui peuvent être sur les cordes le vibrato, l’espressivo, la chaleur du son, ou pour les vents les détachés, l’articulation… Désormais je suis frustrée de ne pas avoir assez de temps pour faire cet exercice. Aujourd’hui je rêve de devenir cheffe principale pour pouvoir travailler le son d’un orchestre ; je pense que la musique, comme elle est écrite, n’est pas vivante. Ce qui la fait vivre c’est le cœur, donc le rythme qu’on lui donne ainsi que le son qu’on lui donne ; le cœur c’est la vie et le son, les formes de la vie. Chaque fois que j’ouvre une partition, même si je la connais, je cherche toujours de trouver des différences possibles d’interprétation. J'y trouve beaucoup de motivation. Je pourrais faire les choses mille fois ça ne me suffira jamais. Et là, je me dis que je vis le métier passion auquel j’aspirais. »
 
Propos recueillis par Michel Egéa, à Orange, le 2 juillet 2023.

 

Carmen aux Chorégies d’Orange le 8 juillet 2023 à 21h30 (report le 9 en cas de mauvais temps) // https://choregies.fr/programme--2023-07-08--carmen-bizet--fr.html  // Télédiffusion le 28 juillet.
 
Photo © Chorégie d'Orange

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