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La Fille de Madame Angot à l’Opéra-Comique – La Liberté guidant Lecocq – Compte-rendu
Cela faisait plusieurs décennies que l’on n’avait plus vu La Fille de Madame Angot à Paris, et comme la version de concert présentée en 2021 au Théâtre des Champs-Elysées avait rencontré un beau succès, prolongé par l’enregistrement réalisé dans la foulée (pour la collection Opéra français du Palazzetto Bru Zane) (1), ce retour scénique était très attendu. Pour autant, la production présentée par l’Opéra-Comique ne répond pas à toutes les questions, notamment celle de la survie du genre opérette aujourd’hui : avons-nous encore les artistes aptes à interpréter ce répertoire ?
En ce qui concerne la mise en scène de Richard Brunel, la transposition qu’elle propose fonctionne assez bien. Partant du principe que le public ignore désormais à peu près tout du Directoire, elle déplace l’action vers une autre révolution, le mouvement de Mai 68, avec ses contestataires et ses réactionnaires. L’héroïne qui se fait arrêter par la police pour échapper à un mariage imposé trouve sa place dans le monde de la libération des mœurs, et la métamorphose de Clairette en passionaria du piquet de grève est crédible. Les Incroyables n’ont plus rien à faire au milieu de la chienlit, et c’est une solution astucieuse d’avoir remplacé le grasseyement à la mode par l’accent authentiquement anglo-saxon d’un acteur américain (Geoffrey Carey) dans le rôle de Trénitz. Mademoiselle Lange devient une actrice de cinéma plutôt que de théâtre – son duo avec Clairette devient celui des Demoiselles de Rochefort – et Larivaudière reste un homme d’affaires.
L’ennui, en remplaçant les Halles par une usine de voitures, c’est que le texte n’a pas été modifié et qu’il contient donc encore des références qui perdent ici leur sens, mais les spectateurs n’en ont pas semblé déconcertés, sauf sans doute ceux qui ont hué le metteur en scène et son équipe lors des saluts. On regrette seulement que les changements de décor (malgré la tournette qui devrait les faciliter) imposent des musiques d’entracte un peu longues, dont le matériau n’a aucun rapport avec le reste de l’œuvre.
Musicalement, l’écriture raffinée, parfois mozartienne, de Lecocq ne sort pas toujours victorieuse de l’épreuve. La direction d’Hervé Niquet, vive dans l’ouverture, paraît souvent un peu lourde, appuyée, dans certains grands ensembles que l’on voudrait plus enlevés. A l’inverse, le chef presse un air jadis célèbre, « Elle est tellement innocente », comme si un tempo plus lent risquait d’ennuyer, ou d’obliger à prendre au sérieux les propos de Pomponnet (évidemment, l’innocence n’est plus la vertu qu’elle pouvait encore être en 1872). L’Orchestre de chambre de Paris semble parfois constituer une barrière que les voix ont du mal à surmonter, et c’est là que se pose le problème du type de voix qu’appelle un genre où l’intelligibilité du texte est primordiale.
Nos oreilles ne voudraient probablement plus des interprètes d’autrefois, qui parlaient leurs airs autant sinon plus qu’ils les chantaient, mais une émission plus lyrique contraint-elle à ralentir le rythme de la musique si l’on veut articuler comme il convient ? L’un des morceaux les plus connus de la partition, « Très jolie, peu polie », est ainsi pris à un tempo très mesuré par Ludmilla Bouakkaz, prometteuse membre de l’Académie de l’Opéra-Comique qui, après avoir été bombardée soprano colorature dans Le Voyage dans la lune, semble revenir à des rôles plus graves. Matthieu Lécroart, déjà remarqué au concert, retrouve en Larivaudière un personnage où il peut déployer sa vis comica. Les deux ténors possèdent des timbres bien différenciés, qui permettent d’opposer le Pomponnet plus suave de Pierre Derhet au Pitou plus corsé de Julien Behr (le seul à être habillé comme à la fin du XVIIIe siècle – logique, puisqu’il est royaliste). Véronique Gens montre qu’elle peut s’épanouir dans le répertoire léger, et forme le contraste souhaitable avec la voix d’Hélène Guilmette. La soprano canadienne se montre tout aussi fraîche et convaincante qu’Anne-Catherine Gillet l’était au concert, en ajoutant l’entrain de sa prestation théâtrale.
Pour rester à Favart, notez que les jeunes chanteurs de l'Académie feront leur rentrée du 19 au 21 octobre avec "L'Amour à la française", spectacle imaginé en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane et placé sous la direction artistique d'Hervé Niquet (2)
Laurent Bury
(2) "L'Amour à la française" www.concertclassic.com/article/lamour-la-francaise-lopera-comique-19-21-octobre-rentree-marivaudage-pour-lacademie
Charles Lecocq, La Fille de Madame Angot - Paris, Opéra-Comique, jeudi 27 septembre ; prochaines représentations le 29 septembre, les 1er, 3 & 5 octobre 2023 // www.opera-comique.com/fr/spectacles/la-fille-de-madame-angot
Photo © Jean-Louis Fernandez
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