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Alexandre Kantorow en récital et en concerto à la Philharmonie de Paris – Sur les cimes – Compte-rendu
Belle fin d’année 2023 pour Alexandre Kantorow ! De l’autre côté de l’Atlantique d’abord : après avoir reçu le prestigieux Gilmore Artist Award en septembre, il a fait chavirer le public de Carnegie Hall le 22 octobre, en remplacement de Maurizio Pollini, dans un programme Brahms, Bach/Brahms, Schubert et Schubert/Liszt. Le triomphe n’aura pas été moins grand un peu plus tard à la Philharmonie de Paris où, à une semaine d’intervalle, l’artiste a fait salle comble en récital comme en concerto.
© Mathias Benguigui - PASCO and CO
Dépasser l’instrument
La Rhapsodie op. 79 n°1, premier volet d’un diptyque pas toujours considéré à juste valeur dans le corpus pianistique brahmsien, ouvre le récital : avec élan et sensibilité l’interprète saisit toute la complexité d’une inspiration qui n’est plus celle des réalisations de jeunesse mais demeure encore éloignée des opus ultimes. Le raffinement du toucher ne fascine pas moins, du côté lisztien, avec une Etude « Chasse neige » qui semble naître sous les doigts du virtuose : le timbre vibre littéralement ; l’instrument, sa mécanique sont totalement dépassés, grâce à des moyens hors du commun, dans une interprétation d’une grande puissance visuelle. C’est le dernier numéro des Etudes d’exécution transcendante : on se prend à rêver que le pianiste se décide un jour à nous offrir l’intégralité du recueil ... Ou celle des Années de pèlerinage ... La Vallée d’Obermann qui suit parvient à extraordinaire degré de décantation : la subjectivité romantique qui anime la musique prend une dimension universelle, profondément émouvante.
Kantorow s’est pris de passion pour la Rhapsodie op. 1 de Bartók et en a d’ailleurs signé un très bel enregistrement (Bis). Réalisation de jeunesse du Hongrois, tout à fait à sa place après Brahms et Liszt, la pièce pourrait aisément paraître disparate n’était la manière dont le pianiste la surplombe et lui imprime une cohésion parfaite, avec un sens des caractères, une variété du coloris, et des attaques !, toujours stimulants pour l’oreille.
Composition fleuve
Surplomber, tel est le bien mot qui convient s’agissant de la Sonate n° 1 de Rachmaninoff. L’œuvre figurait déjà au programme du premier récital parisien d’Alexandre Kantorow en avril 2016 ; il y était déjà magistral. Depuis, il l’a souvent redonnée en public parvenant à une hallucinante maîtrise de cette composition fleuve. Jamais la polyphonie, très touffue, ne souffre de la moindre opacité sous ses doigts. Palette de couleurs incroyable, tension permanente : la faustienne partition se déploie et vous entraîne dans l’irrépressible et impérieuse évidence de son flux. Vivement la 2e Sonate !
Après un tel feu pianistique, la Chaconne de Bach arrangée pour la main gauche par Brahms – à l’intention de Clara Schumann – ne prend que plus de force par sa concentration, sa noblesse et l’autorité avec laquelle Kantorow la conduit. Une soirée sur les cimes, que referment, en bis, le « Mon cœur s’ouvre à ta voix » de Saint-Saëns (dans la version Nina Simone), et – éblouissant ! – le finale de L’Oiseau de Feu de Stravinsky (transcr. de Guido Agosti).
© Mathias Benguigui - PASCO and CO
Onirisme sonore
Une semaine plus tard, l’interprète retrouve la grande salle de la Philharmonie, en compagnie de l’Orchestre de Paris, pour le Concerto n° 5 « L’Egyptien » de Camille Saint-Saëns, ouvrage dont il a signé une grande version dans le cadre d’une intégrale des concertos du Français (avec le Tapiola Sinfonietta dirigé par Jean-Jacques Kantorow). L’Opus 103 prend place juste après la rare ouverture Shéhérazade de Ravel, finement dirigée par Klaus Mäkelä. Autant dire que l’exotisme d’un jeune compositeur encore à la recherche de lui-même précède celui d’un maître au sommet de son art. Et l’on reste sans voix devant la manière, aussi simple que raffinée, avec laquelle Kantorow magnifie la fabuleuse imagination sonore de Saint-Saëns, en parfaite osmose avec les instrumentistes parisiens et leur directeur musical. Pas une once de kitsch, de carte postale, seulement une miroitante et irrésistible bouffée d’onirisme sonore.
Si le Concerto « L’Egyptien » est devenu assez courant dans les programmes depuis quelques années, le non moins admirable Concerto n°4 – qu’Aldo Ciccolini a beaucoup défendu à la fin de sa carrière – peine à trouver la place qu’il mérite. Espérons que les organisateurs auront la bonne idée de le proposer à Alexandre Kantorow.
Alain Cochard
Paris, Philharmonie, Grande Salle, 9 et 15 novembre 2023.
Photo © Mathias Benguigui - PASCO and CO
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