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L’Ensemble Intercontemporain célèbre les 80 ans de Péter Eötvös – Les aventures du son – Compte-rendu
Entre 1979 et 1991, Péter Eötvös a été le directeur de l’Ensemble Intercontemporain, alors toute jeune formation (fondée par Pierre Boulez en 1976). « J’étais de la même génération que les musiciens. On se comprenait », dit-il, ajoutant : « Ma principale qualité en tant que chef d’orchestre était de penser en compositeur. Et vice versa ». On ne saurait mieux définir cette expérience et cette excellence partagées que se sont alors forgé le chef hongrois et les musiciens parisiens. Et l’on devine combien ces retrouvailles, à l’occasion des quatre-vingts ans du premier, étaient attendues par les deux parties (même s’il ne reste plus dans l’ensemble qu’une petite poignée des musiciens que Péter Eötvös a connus durant son mandat de treize années). Malheureusement, malade, le chef a dû se résoudre à annuler sa participation et même sa venue à Paris.
Martin Adámek © Anne-Elise Grosbois
Il n’aura pas fallu lui chercher très longtemps un remplaçant et, feuilletant le grand livre de l’EIC, il a suffi de s’arrêter à la page suivante : David Robertson (photo) faisait donc son retour à la tête de l’ensemble qu’il a dirigé de 1992 à 1999. Visiblement heureux de retrouver l’atmosphère de la Cité de la musique qu’il avait inaugurée voici près de trente ans. Au programme, trois œuvres récentes, (en création française) de Péter Eötvös et une autre bien plus ancienne. La première, Fermata, une pièce pour ensemble de quinze musiciens mêle une certaine invention formelle – les musiciens jouent debout, solistes plus qu’ensemble – à un élan rhapsodique contrarié : l’œuvre semble non pas décousue mais morcelée, prises entre des gestes virtuoses qui fusent de chaque pupitre ou des silences qui d’un coup redessinent l’équilibre de l’ensemble. Le compositeur, dans les notes de programme, donne la clef de cette œuvre composée entre 2020 et 2021 et qui se ressent des épisodes de confinements et du chaos d’une vie (musicale, mais pas seulement) qui peinait alors à reprendre son cours.
Odile Auboin © Anne-Elise Grosbois
Suivaient deux pages solistes relativement brèves, Adventures of the Dominant Seventh Chord pour alto (2021) et Joyce pour clarinette (2018), qui ont pour point commun le va-et-vient entre le temps suspendu de la rêverie et l’animation de la danse ou de l’action virtuose. Sous l’archet d’Odile Auboin, Adventures… se déploie comme un polyptyque aimanté par un accord s’envolant en métamorphoses. Le morcellement de Fermata s’y retrouve, mais bien plus apaisé, bercé des sonorités chaleureuses – un rien nostalgiques, peut-être ? – de l’alto. Joyce, créé par Jörg Widmann et repris ici avec brio par Martin Adámek, est davantage conduit par une profusion narrative, à l’image des nombreux concertos composés par Péter Eötvös ces deux dernières décennies (depuis Seven pour violon, en particulier).
La dernière œuvre programmée date de 1986, et Péter Eötvös l’avait composée pour l’ensemble à l’occasion de son dixième anniversaire. Ce Chinese Opera, depuis devenu un « classique du XXe siècle », n’a pas pris une ride : sa structure, son orchestration par groupe, sa vivacité en rendent l’exécution captivante. Tout y est d’une théâtralité suggérée : pas d’effet de mise en scène, mais une mise en perspective du son, dont chaque retour semble parfaitement à sa place. Face à l’ensemble, David Robertson semble prendre un plaisir non dissimulé à diriger cette œuvre qui constitue un vrai jalon dans l’écriture pour ensemble.
La compositrice Clara Iannotta © Anne-Elise Grosbois
Au cœur de ce concert, Péter Eötvös avait inscrit une création ; une évidence si l’on songe à quel point le compositeur et chef d’orchestre s’est impliqué dans la transmission et a porté, par ses conseils et ses interprétations, plusieurs générations de jeunes compositeurs et compositrices. C’est donc une partition de Clara Iannotta, née en 1983 et déjà familière de l’EIC, que David Robertson présente ce soir en création mondiale. Comme Fermata et Adventures of the Dominant Seventh Chord d’Eötvös, vacant lot (strange bird) juxtapose des moments dont l’impression de continuité n’est pas immédiate. C’est aussi une musique de transformations : celle, subtile, des sonorités qui passent d’un instrument à l’autre ou sont altérés par toutes sortes d’accessoires ; celle, plus globale, qui conduit, de vague en vague, à une apothéose d’une extraordinaire efflorescence.
Jean-Guillaume Lebrun
Paris, Cité de la musique, 11 janvier 2024
L’hommage à Péter Eötvös se poursuit, le jeudi 18 janvier, à la Maison de la Radio et de la Musique, avec notamment la création des Treize haïkus pour chœur d’enfants et du Concerto pour harpe : www.maisondelaradioetdelamusique.fr/evenement/concert-classique/eotvos-par-eotvos-lambert-wilson
Photo © Anne-Elise Grosbois
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