Journal
Christoph Eschenbach et Jean-Claude Casadesus au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence 2024 – L’épopée du romantisme – Compte-rendu
Après le coup d’envoi donné en majesté par les deux stars françaises, Alexandre Kantorow et Renaud Capuçon, ici maître des lieux, outre Dominique Bluzet, directeur exécutif de la manifestation, les Pâques aixoises – dix ans l’an passé – ont lancé leur vaste parcours musical de l’année sur un survol enflammé de l’aventure romantique, de Mendelssohn et de l’essor frémissant d’une Allemagne portée par le goût d’infini, à l’adieu aux rêves, en 1948, d’un Richard Strauss âgé et détruit par les affres d’une guerre immonde dont il n’avait sans doute pas mesuré l’horreur fondamentale. En passant par l’orientalisme flamboyant d’un Rimski-Korsakov tout en sensualité colorée, et le wagnérisme pieux de l’idéaliste Bruckner.
Hanna-Elisabeth Müller © Festival de Pâques d'Aix
De quoi se noyer dans des effluves vibrantes, mélodiques, parfois ensorcelantes, parfois structurées comme les degrés d’une échelle métaphysique, portées par des orchestres pour lesquels ces répertoires n’ont pas de secrets, venus de Bamberg et de Riga. C’est donc une rencontre précieuse que celle faite ici par un public mélomane avec ces formations d’excellence, que Renaud Capuçon a pu croiser au cours de son intense parcours de musicien, à l’archet et à la baguette. Rencontre placée sous l’aile de vétérans tels Christoph Eschenbach et Jean-Claude Casadesus, chefs inoxydables malgré les années et fidèles à leur manière inchangée de diriger, dans tous les sens du terme.
Hanna-Elisabeth Müller et Christoph Eschenbach © Festival de Pâques d'Aix
Et contraste que celui de l’énergie immuable de ces octogénaires possédés par leur art, à l’heure où de très jeunes chefs s’emparent des estrades internationales, avec la fraîche maturité de leurs solistes, deux silhouettes féminines à ne pas oublier, deux sonorités à cultiver, celles de Hanna-Elisabeth Müller pour les Quatre derniers Lieder de Strauss et de Anna Agafia Egholm (photo) dans le Concerto pour violon op.64 de Mendelssohn. D’entrée de jeu, Christoph Eschenbach a plongé dans les lieder straussiens avec une fougue, une sorte de célérité nerveuse qui clamaient un dernier appel au printemps, avant de s’abîmer douloureusement dans l’univers finissant que visitent ces chants, tandis qu’Hanna-Elisabeth Müller les lançait d’une voix plus claire que celles des interprétations éternelles gravées au disque depuis Flagstad, qui les créa, en passant par l’incomparable Schwarzkopf. Une autre vision, une grâce mélancolique au lieu du drame. Et pour l’envelopper, l’Orchestre Symphonique de Bamberg, « déployant velours et soie », comme s’en réjouissait Renaud Capuçon après le concert. Avant d’attaquer par la face nord l’édifice imposant de la Symphonie n°2 de Bruckner, dont on ascensionne les couches en une ascèse mystique.
Jean-Claude Casadesus © Festival de Pâques d'Aix
Avec Casadesus, le lendemain, une soirée composée comme dans les concerts d’autrefois : ouverture, concerto, symphonie (en l’occurrence suite symphonique). Et la rigueur méticuleuse du chef, qui après les coups d’éclat de l’Ouverture d’Obéron de Weber, a su se glisser dans l’optique toute de douceur et de brillance sans surdose de la danoise Anna Agafia Egholm (photo) dans le Concerto en mi mineur de Mendelssohn. Légèreté, fraîcheur, finesse, cette musique tout en poésie aérienne créait une sorte d’enchantement. Avant la senteur musquée, ou marine du Schéhérazade de Rimski-Korsakov, que Jean-Claude Casadesus a restituée avec le très bel Orchestre de Lettonie, aux bois délicieux, aux cordes charnues, comme un album d’un temps de contes, tout en volutes amoureuses et en délires de folle nature.
On a particulièrement palpité pour Simbad en perdition, frémi avec le Vaisseau se brisant, et plongé avec bonheur dans ce chatoiement de couleurs et de sonorités tourbillonnantes, que le chef graduait d’une baguette demeurée plus que ferme. Et tous se réjouissaient de retrouver ainsi l’intégralité de la suite orchestrale, aujourd’hui plutôt rare dans le salles de concerts. Deux soirées d’horizons lointains, évoqués passionnément et qui ont fait vibrer le Grand Théâtre de Provence, en attendant les autres portes que, d'ici au 7 avril, va lui ouvrir ce pléthorique 11e festival, lequel fait aussi la part belle aux enfants, avec une série de séances qui leur sont consacrées.
Jacqueline Thuilleux
11e Festival de Pâques - Grand Théâtre de Provence, les 23 et 24 mars 2024. www.festivalpaques.com
Photo © Festival de Pâques d'Aix
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