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« Divo, Diva » au Théâtre des Champs-Elysées – On respire – Compte-rendu
Stupeur et tremblement à l’arrivée au Théâtre des Champs-Elysées : il manque une des quatre voix prévues pour le concert de Thibault Noally à la tête de son ensemble Les Accents. Ouf, on respire, elle a pu être remplacée. Et si l’on était assez curieux d’entendre la toute jeune Lauranne Oliva, annoncée souffrante, on se console vite en apprenant que l’artiste qui se substitue à elle est l’admirable Sophie Junker. Fin mars, dans la Saint-Matthieu à Dijon (1), on avait déjà cru remarquer que la soprano franco-belge se trouvait dans une situation intéressante, mais sa grossesse désormais très avancée ne l’empêchera nullement d’avoir sa part du succès de cette soirée.
Sophie Junker © Christina Raphaelle
Le concert alternant pièces vocales et pages instrumentales, tout commence par l’ouverture d’Agrippina, le plus italien des opéras de Haendel. Et l’on constate aussitôt que Thibault Noally sait à merveille faire respirer cette musique, sans jamais forcer le trait, sans pousser les nuances vers des extrêmes caricaturaux. Pour autant, la virtuosité – l’un des maîtres-mots de la soirée – n’est jamais oubliée, comme le confirme l’apparition de Bruno de Sà, qui enchaîne les cascades de vocalises, sculptant sur le souffle, telle une bulle irisée, un air de Carlo il Calvo de Porpora. Le sopraniste brésilien montre ensuite qu’il n’est pas qu’une machine à notes ultra-rapides, lorsqu’il est rejoint par Eva Zaïcik (photo) pour « Son nata a lagrimar » de Giulio Cesare. Dans ce duo, c’est l’appariement des voix qui compte avant tout, et si l’on a l’habitude de l’entendre interprété par des timbres plus graves (mezzo pour Sesto, contralto pour Cornelia), les deux artistes s’accordent parfaitement : Bruno de Sà campe un fils à peine sorti de l’enfance et Eva Zaïcik une mère encore jeune, l’émotion de la rencontre est bien là.
Thibault Noally © lesaccents.fr
Violoniste autant que chef, Thibault Noally ne pouvait laisser son instrument dans l’ombre, et il s’est réservé deux interventions en soliste au cours de ce programme : d’abord, un ébouriffant concerto de Vivaldi (le RV 212a en ré majeur), où il explore les sommets de la vélocité et de l’aigu avec une aisance à couper le souffle, suscitant un tel enthousiasme que le public applaudit dès la fin du premier mouvement. Après l’entracte, il sera rejoint par une violoniste de son orchestre dans le Concerto pour deux violons en la mineur RV 522 du même compositeur.
Bruno de Sá © Bayreuth.media
Sophie Junker fait son entrée pour « Ama, sospira » d’Alcina, mais comme on a pu le constater récemment, sa voix s’est étoffée de telle sorte qu’elle peut désormais prétendre non plus aux personnages légers comme Morgana : on l’imaginerait parfaitement dans le rôle-titre de cet opéra, compte tenu de la densité qu’elle confère à sa première apparition. Ce sentiment deviendra certitude lorsqu’on l’entendra dans le sublime duo de Rodelinda, « Io t’abbraccio », où elle se montre déchirante, et l’on espère prochainement l’acclamer dans les plus tragiques héroïnes haendéliennes. Son Bertarido, Christophe Dumaux, chante Haendel comme il respire ; il commence par « Fammi combattere » d’Orlando, où sa voix moins sonore dans le bas de la tessiture se libère bien davantage dans les ornements plus aigus qu’il ajoute pour la reprise. La virtuosité l’emporte dans « Bramo aver mille vite » d’Ariodante, ici donné dans une configuration inhabituelle : si le rôle-titre est tantôt confié à une mezzo, tantôt à un contre-ténor comme c’est le cas ce soir, il est plus rare que Ginevra soit un homme, Bruno de Sà en l’occurrence, qui y trouve une nouvelle occasion de briller.
Christophe Dumaux © DR
Toujours pour justifier le titre du concert, « Divo, Diva », qui joue sur le trouble dans le genre, Eva Zaïcik, qui n’a interprété jusque-là que des duos (après le Haendel, elle a associé sa voix à celle de Sophie Junker pour un extrait du Mitridate de Porpora), revient dans le rôle-titre du Farnace de Vivaldi. Thibault Noally sait tirer de son ensemble un effet tout à fait glaçant pour les premières mesures de « Gelido in ogni vena », où la mezzo exploite toutes ses ressources expressives. Bruno de Sà se déchaîne en gestes, mimiques et pas de danse pour un extrait de L’Olimpiade de Vivaldi également, et en conclusion, Sophie Junker, Christophe Dumaux et lui sont réunis par un trio du Germanico de Porpora. Au public ravi, les quatre chanteurs accorderont deux bis, dont une version particulièrement enlevée du quatuor « Anima del mio cor » tiré de La Candace de Vivaldi.
Laurent Bury
(1) www.concertclassic.com/article/la-passion-selon-saint-jean-lopera-de-dijon-paques-danse-compte-rendu
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 14 mai 2024
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Photo © Victor Toussaint
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