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Requiem(s) d’Angelin Preljocaj – Fascinants chemins de mort – Compte-rendu
On avait trouvé quelques longueurs au Mythologies d’Angelin Preljocaj, tant la succession de tableaux inspirés par des mythes obligeait à une descente culturelle pas toujours évidente, et surtout ressemblait à un album assez onirique, auquel manquait une pulsion globale. Il n’en est rien pour ce Requiem(s) présenté dans la Grande Halle de la Villette, en raison de l’indisponibilité de Chaillot, et que le chorégraphe a conçu comme un exutoire à la douleur de la perte récente d’êtres chers, dont ses deux parents. Certes, le déroulement de la pièce est également conçu sans axe narratif, en scènes juxtaposées et contrastées grâce aux puissants extraits musicaux qu’elle illustre, de Mozart et Messiaen aux hystéries des musiques contemporaines les plus déchaînées ou à des chants médiévaux, mais si l’on veut une flèche au bout de la démarche, on la trouve.
© Didier Philispart
Car toute la pièce est conçue comme une déploration, et bien que n’étant nullement empruntée à des folklores, des traditions ou des cultes, elle crée ses propres rituels et envoûte par les modulations de ses dix-neuf danseurs, qui passent de la psalmodie gestique à la transe, de la douceur à la violence, du désespoir au recueillement, avec une étonnante unité de style. La chorégraphie de Preljocaj utilise une gestique toute en élongation des bras, fluides comme des algues et fait tournoyer les corps sur eux-mêmes en figures inlassablement répétées. Parfois, on a l’impression de retrouver des évocations antiques, remontées des vases grecs, parfois, on pénètre au cœur de frénésies primitives, mais en une alternance sans pathos. Puis tout s’arrête, s’aplanit tandis que des figures fantomatiques quasi angéliques, auréolées de coiffes blanches, achèvent cette série de douloureuses stations en berçant un corps. On est dans les limbes.
© Didier Philispart
Comme Preljocaj aime à l’expliquer, les interprètes lui offrent un terrain d’inspiration mouvant, et c’est sur le balancement de leur corps, sur les vagues de leurs bras, sur leur propre expressivité psychologique ou strictement physique qu’il fait courir son inspiration, laquelle semble jaillie des danseurs eux même. Comme dans beaucoup de compagnies dévolues au style d’un seul chorégraphe, ceux du Ballet Preljocaj sont superbes, portés par le sens du silence au milieu du bruit ou se mouvant dans de perpétuelles ondulations, qui disent l’angoisse. Et de surcroît admirablement costumés par Eleonora Peronetti, toujours dans une gamme de noir et de blanc, avec juste deux silhouettes écarlates pour refermer le rideau, et spectaculairement éclairés par Eric Soyer et Nicolas Clauss …
Etrange aussi, cette longue procession des admirateurs du chorégraphe le long des murs de la Grande Halle pour aller se laisser porter par cette danse de mort, où ne brille qu’un pâle espoir. Le succès en a été solide mais pas tonitruant. Comment pourrait-il en être autrement, alors que l’on vient de s’enfoncer dans une longue affliction, laquelle n’emploie pas le ton de la tragédie, mais agite au plus profond les sensibilités et conduit vers une sorte d’apaisement. Magnifique fresque mobile, qui offre des séquences d’une beauté à couper le souffle.
Jacqueline Thuilleux
Requiem(s) d’Angelin Preljocaj – Paris, Grande Halle de la Villette, 3 juin ; dernière représentation, l6 juin 2024. www.lavillette.com
Photo © Didier Philispart
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