Journal
Armide de Lully à l’Opéra-Comique – On nous l’a changée ! – Compte-rendu
Nous étions prévenus : après une Armide de Gluck dont la mise en scène n’avait convaincu personne (1), l’Opéra-Comique allait confier l’Armide de Lully, écrite sur le même livret de Quinault, à la même Lilo Baur. La stupeur était mitigée par la promesse de costumes entièrement renouvelés, dans les mêmes décors. A l’arrivée, le résultat est beaucoup moins consternant que le spectacle proposé la saison dernière. Après les costumes pittoresques mais affligeants imposés à Gluck, Lully a droit à une sobriété extrême (noir pour tout le monde, sauf Armide en rouge, plus un peu de gris clair ici et là), et dans le décor, toujours articulé autour d’un grand arbre sec, des rideaux gris métallisé (tantôt argentés, tantôt dorés par l’éclairage) remplacent les panneaux géométriques de 2022.
Enguerrand de Hys (Artémidore, Le Chevalier danois), Lysandre Châlon (Ubalde, Aronte), chœur Les éléments © S. Brion
Dans ce cadre d’une élégance un peu froide, la production évite le pire, même si l’on ressent quelques craintes lors du prologue, où il ne se passe strictement rien, et à la fin du premier acte, où l’agressivité supposée du chœur se traduit par des gesticulations pitoyables. Heureusement, malgré des entrées et sorties parfois encore maladroites, tout le reste est plus inspiré, avec de beaux moments, notamment pour la Passacaille, chorégraphiée de manière fort suggestive. Surtout, le drame peut enfin s’exprimer sans être entravé par diverses afféteries et, sans être inoubliable, cette Armide-là se laisse regarder.
Ambroisine Bré (Armide) & Anas Séguin (La Haine) © S. Brion
Heureusement, dans la fosse, Christophe Rousset officie à nouveau, et son retour promis était d’emblée une bonne nouvelle. Le claveciniste et chef est désormais suffisamment avancé dans son parcours lulliste pour remettre l’ouvrage sur le métier (on se souvient d’une superbe Armide qu’il dirigeait à Nancy en 2015 dans une mise en scène de David Hermann). On mesure avec lui tout le chemin parcouru en quelques décennies dans la résurrection de ce répertoire : vibrato et ports de voix ne sont plus des ennemis absolus ; l’ornementation est permise dans les reprises, et les chanteurs ne se privent pas de couvrir de délicates broderies chaque phrase lorsqu’elle est répétée. Le continuo est bien présent mais jamais envahissant, le rythme est dans l’ensemble rapide, mais le chef sait prendre son temps lorsque les nécessités théâtrales l’exigent. Les Talens Lyriques lui obéissent fidèlement, tout comme le chœur de chambre Les éléments, qui bouge aussi bien qu’il chante quand les six danseurs se mêlent à lui.
Ambroisine Bré (Armide) & Cyrille Dubois (Renaud) © S. Brion
Et surtout, il est désormais permis de donner de la voix dans la tragédie lyrique, sans perdre de vue la déclamation. Cyrille Dubois en offre un exemple éclatant, et l’on enrage que Renaud n’apparaisse que dans deux actes (et que le personnage dorme pendant une partie de ces deux actes !) : puissance vocale, diction impeccable, engagement dramatique de chaque instant, tout est réuni pour offrir du héros une incarnation en tous points convaincante. Face à lui, Ambroisine Bré (photo) se montre également convaincante, même si l’intention expressive l’amène parfois à sacrifier un peu les mots ; la voix est sonore, l’actrice est investie, et l’on est curieux de savoir dans quelle direction évoluera cette carrière encore jeune.
Par la richesse de son timbre, Edwin Crossley-Mercer possède l’autorité d’Hidraot sans qu’on le fasse jouer les vieillards, et Anas Séguin prête à la Haine un baryton clair et incisif. Sidonie et Phénice trouvent deux interprètes idéalement contrastées en la personne de Florie Valiquette, à la voix charnue et corsée (ceux qui ont entendu sa Konstanze de L’Enlèvement au sérail savent de quoi elle est désormais capable), et d’Apolline Raï-Westphal, soprano plus léger mais non moins engagé. Enguerrand de Hys était déjà Artémidore dans l’Armide de Gluck, et celle de Lully lui convient peut-être mieux encore, tandis que Lysandre Châlon se fait remarquer en Ubalde. Signalons aussi, dans un passage bref mais ô combien marquant – l’amant fortuné de la Passacaille – la présence d’Abel Zamora, de l’Académie de l’Opéra-Comique, très à l’aise dans cette tessiture élevée.
Laurent Bury
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(1) www.concertclassic.com/article/armide-de-gluck-selon-lilo-baur-lopera-comique-le-ridicule-nous-rend-plus-fort-compte-rendu
Lullly : Armide – Paris, Opéra-Comique, 17 juin ; prochaines représentations les 19, 21, 23 & 25 juin 2024 // www.opera-comique.com/fr/spectacles/armide-2024
Photo © S. Brion
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