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Faust à l’Opéra Bastille – Pour l’amour de Marguerite – Compte-rendu

 
Ce Faust, signé du talentueux Tobias Kratzer, outre Gounod, Barbier, Carré, et un peu Goethe, eut des malheurs à sa mise en place, l’affreux démon du Covid ne lui ayant laissé que deux représentations à ses débuts en 2019. Repris depuis, il revient revigoré, avec une distribution vedette, mais où l’on regrette cependant l’absence de Benjamin Bernheim, tenant du titre à ce jour pour la perfection de sa diction et la sobriété intense de son jeu.
 
Il s’agissait donc, pour cette remise en salle, de la 2680e représentation de l’œuvre à l’Opéra de Paris, où elle fit son entrée en 1869 (la création de l’ouvrage dans sa version opéra-comique originelle ayant eu lieu dix ans plus tôt au Théâtre Lyrique)(1). Des hauts et des bas dans le succès, notamment en 1975 avec la mise en scène révolutionnaire de Jorge Lavelli, mais une résistance à toute épreuve et une popularité inchangée.
 

© Franck Ferville - OnP

Sans trop pousser dans des lectures psychanalytiques du mythe faustien, dont Gounod a finalement gardé surtout  l’aventure amoureuse, en faisant la part belle à l’héroïne plus qu’à la quête de jeunesse, voire d’immortalité du savant, Tobias Kratzer a la patte juste, et placer l’histoire dans le monde d’aujourd’hui ne lui enlève en rien sa portée. Les idées abondent, moins dans le premier acte, où après une mise en place intéressante avec un double âgé et muet de Faust, la scène de la rencontre sonne comme une séance de gesticulations conventionnelles dans quelque boîte de nuit, un rien rabâchée. Puis la banale maison de Marguerite se détache avec la discrétion voulue, et sert de cadre à une action magnifiée par d’habiles vidéos.
 
Par la suite, on trouvera que la séance de Marguerite enceinte, chez le gynécologue, est un peu appuyée, voire d’un inutile mauvais goût, mais celle où dans la vision de Faust, elle noie son enfant, en état de transe, est bouleversante, tout en restant sobre. Et la scène où assise dans le métro, faute d’église, elle se trouve maudite par Méphisto, lequel n’aurait d’ailleurs  pas le droit de rentrer dans une vraie église, ce qui permet de le mettre en scène, tient en haleine tandis que le rythme de la course du wagon renforce la musique d’une battue obsessionnelle.
 

© Franck Ferville - OnP
 
Idées fortes, donc, parfois même savoureuses, ainsi lorsque Faust et Méphisto galopent dans le rues de Paris, portés par la folie de la Nuit de Walpurgis, sur des chevaux qui ne sont pas sans rappeler le coursier métallique qui parcourut la Seine lors de l’ouverture des récents Jeux Olympiques (mais Kratzer l’a conçu avant), ou survolent une cité hugolienne, que les belles vidéos de Manuel Braun et les lumières  de Michael Bauer font flamboyer. L’image mobile joue ici son rôle brillamment, et l’on se souvient que Jacques Rouché, déjà, en 1934, avait demandé à Murnau de l’injecter dans le spectacle.
 
Evité, donc, l’écueil un peu vieillot de quelques échanges amoureux, de quelques scènes un rien désuètes pour garder l’essentiel, celui d’une intrigue et d’une musique qui peuvent être torrides. Et sont ici souvent tièdes, en raison de la direction dure, voire mécanique d’Emmanuel Villaume, surtout dans les deux premiers actes, où les variations psychologiques de la musique, les respirations permettant les changements d’humeur, le renversement des situations, les élans voluptueux sont fondus dans une sorte d’inéluctable parcours. La scène de l’église-métro lui convient beaucoup mieux, par sa violence soutenue, tout comme les galops et l’extase finale, et l’Orchestre de l’Opéra de Paris l’y suit impeccablement, de même que les chœurs en superbe forme (péparés par Alessandro Di Stefano).

 

© Franck Ferville - OnP

Vocalement, la vedette était évidemment le ténor samoan Pene Pati, qui trouve ici difficilement la ligne romantique et les envols passionnés que son rôle exige : certes les aigus sont d’une force et d’une clarté à toute épreuve, mais la souplesse n’est pas au rendez vous et l’incarnation manque de force et de charme, même si le « Salut ! Demeure chaste et pure » » vibre d’un beau lyrisme. Sans doute, rentrera-t-il mieux dans son personnage lors des représentations suivantes. Face à lui, Alex Esposito, un Méphisto  alerte et de bonne allure, qui ne fait pas très peur, et ne manque pas d’humour, avec un accent piquant, car on apprécie toujours que la voix du diable sonne étrangère. En Valentin, Florian Sempey est parfait, comme à l’accoutumée, Sylvie Brunet-Grupposo campe une dame Marthe intelligente et drôle, tandis que Marina Viotti force un peu le trait pour son Siebel.
 
L’émotion vraie vient  de la très prenante composition d’Amina Edris, douce, charnelle, émouvante sans maniérisme. Dirigée parfaitement par le metteur en scène pour des gros plans vidéo qui ne souffriraient pas de gestique opératique, elle impose, sans pour autant disposer d’une voix exceptionnelle, un personnage d’une vérité qui étreint. Avec son sac à dos, ses baskets et son gros ventre, elle décoiffe les vieilles nattes et rend son rôle infiniment proche. Si l’ensemble du spectacle devra se moduler et trouver un rythme plus nuancé, son interprétation à elle en fait un moment mémorable.
 
Jacqueline Thuilleux

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(1) La version opéra-comique de 1859 sera donnée à la salle Favart, du 21 juin au 1er juillet 2025, dans une mise en scène de Denis Podalydès et sous la direction de Louis Langrée // www.opera-comique.com/fr/spectacles/faust
 

Gounod : Faust – Paris, Opéra Bastille ; 26 septembre ; prochaines représentations les 2, 5, 8, 12, 15 & 18 octobre 2024 // www.operadeparis.fr/en/season-24-25/opera/faust
 
Photo © Franck Ferville - OnP

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