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Edgar à l’Opéra de Nice – Puccini au grand chœur – Compte-rendu

 
Aller à l’opéra célébrer le patrimoine demande parfois un peu d’indulgence. Le livret d’Edgar, œuvre de jeunesse de Puccini (1889), est assez maladroitement ficelé d’après La Coupe et les lèvres d’Alfred de Musset. On y découvre un archétype romantique, mélange de Tannhäuser et de Faust. Partagé entre enfer et paradis, Edgar oscille entre la tzigane Tigrana (mezzo) et la pure Fidelia (soprano), femme simple et sacrificielle. Fidelia a un frère baryton, naturellement gardien de sa vertu, et un père (basse) bienveillant. Ajoutez un peu de patriotisme militaire et une communauté villageoise veillant au maintien de l’ordre social, et le drame est lancé pour plus de trois heures de musique. 
 

© Dominique Jaussein

Ce livret, qui rappelle ParsifalCarmen, et même La Force du destin, conduit à une issue fatale évidente. Et tant mieux, car cela ouvre les portes au maelström de la musique. Et quelle musique ! Dès les premières mesures, nous pénétrons dans le laboratoire créatif de Puccini. Il n’a pas attendu l’aube romaine de Tosca, ni l’écriture debussyste de La Fanciulla del West, ni les masses chorales de Turandot. En 1889, tout est déjà en place. Et l’Opéra de Nice a choisi, en cette année du Centenaire Puccini, de nous offrir la version originale en quatre actes, réduite ensuite à trois par le compositeur après l’insuccès de son opéra alourdi par son livret.
 
Enterrons d’emblée la mise en scène de Nicola Raab, point faible de cette formidable découverte. Pour rendre pleinement justice à Edgar, il aurait fallu des images plus stimulantes que deux façades inclinées, des tables à tréteaux et un arbre désenchanté – entre lesquels les protagonistes se déplacent de manière conventionnelle et dans des costumes disparates.

 

© Dominique Jaussein
 

Le chœur de l’Opéra de Nice, remarquable, occupe une place centrale. Représentant le poids social, ses interventions en font le sixième protagoniste, particulièrement mis en valeur dans le troisième acte, ample Requiem dont les lignes mélodiques évoquent Tchaïkovski. Cet Edgar en quatre actes comprend quatre préludes, chacun étant un bijou en soi. Bien que certaines pages souffrent parfois de longueur (le duo final entre Fidelia et Edgar), on est constamment happé par l’amour vocal que Puccini porte à ses personnages, dont il exige également une grande robustesse. Dans le rôle-titre, Stefano La Colla est fulgurant. Dalibor Jenis, en Franck, déploie des noirceurs de traître verdien. Ferruccio Furlanetto incarne une basse bienveillante. La mezzo Valentina Boi propose une séductrice au timbre moiré et voluptueux, tandis que la virginale Ekaterina Bakanova triomphe avec un timbre tout en clarté et des piani diaphanes.

Pour sublimer cette partition roborative, oscillant sans cesse entre modes majeurs éclatants et échos dantesques du royaume de Klingsor, il faut une fosse adéquate. La baguette de Giuliano Carella transmet son exaltation à l’excellent Orchestre Philharmonique de Nice, dont l’effectif, digne de La Femme sans ombre, soutient sans faillir ce pont massif tendu entre paradis et enfer, et que l’on conseille vivement de parcourir.
 
Vincent Borel 
 

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Puccini : Edgar (version originale en quatre actes) – Nice, Opéra, 8 novembre ; dernière représentation le 12 novembre 2024

www.opera-nice.org/fr/evenement/1169/edgar
 
          
Photo © Dominique Jaussein

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