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Thaïs à l’Opéra de Saint-Etienne – La grande horizontale et son miroir à deux faces – Compte-rendu
Même si la biennale Massenet n’est plus, il est toujours heureux de constater que Saint-Etienne tient à défendre l’enfant du pays en présentant régulièrement ses œuvres. Et quand c’est avec une production aussi réussie sur tous les plans que cette Thaïs, on s’en réjouit plus encore.
Le roman homonyme d’Anatole France a inspiré à Massenet une de ses plus belles partitions : d’une part, c’est celle où s’exprime le plus son goût de l’orientalisme qu’on retrouvera jusqu’à son ultime Cléopâtre posthume, l’Alexandrie de l’antiquité servant de prétexte à un déploiement de couleurs exotiques qui n'ont rien perdu de leur pouvoir de suggestion ; d’autre part, le compositeur semble avoir fait le choix de dépeindre la trajectoire du héros non seulement par le chant mais aussi et peut-être surtout à travers des passages orchestraux traduisant les visions sensuelles qui tourmentent le moine. Outre la célébrissime « méditation », qu’il est toujours bon de réentendre dans sa version avec chœurs à bouche fermée, Thaïs est émaillée de moments où les voix se taisent presque entièrement, où se déploie toute la science de Massenet symphoniste.
Sous la direction enlevée de Victorien Vanoosten, l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire livre une prestation en tous points digne d’éloge, comme en témoigne les intermèdes placés à la fin du premier acte ou au milieu du troisième, d’une fougue et d’une ardeur irrésistibles, avec des hardiesses d’écriture qui rejoignent en expressivité les meilleurs moments de Werther.
© Opéra de Saint-Étienne-Cyrille Cauvet
Responsable de la mise en scène, mais également des décors et des costumes, Pierre-Emmanuel Rousseau accomplit lui aussi un sans-faute : la transposition à l’époque de la création (1894) fonctionne parfaitement, Thaïs devenant une courtisane adulée, qu’on découvre dans une sorte de maison close fin-de-siècle décorée de Vénus académiques. Elle a pour compagnie presque constante un danseur (Carlo D’Abramo) qui, grâce à un costume mi-parti, est à la fois le double de l’héroïne et celui de ces hommes qui achètent ses faveurs ; c’est à lui qu’elle commence à chanter l’air du miroir, et c’est lui qui anime tout le ballet du deuxième acte, avec un talent digne d’un contorsionniste, qui lui vaudra un triomphe aux applaudissements. L’œuvre retrouve aussi son côté sulfureux, au prix de quelques détails que le texte autorise : l’accueil « musclé » réservé à Athanaël, dont le sang gicle sur le rideau de scène, explique « la terrible cité » dont il est question aussitôt après, tandis que Thaïs, écœurée par sa propre beauté, s’inflige un Glasgow smile, avant d’être violée par Nicias …
© Opéra de Saint-Étienne-Cyrille Cauvet
Quant à la distribution, on pouvait présumer que Jérôme Boutillier avait tous les atouts pour faire un superbe Athanaël, mais le résultat dépasse encore les espérances, tant le baryton trouve dans le moine d’abord fanatique, puis torturé par les désirs de la chair, l’occasion d’une stupéfiante incarnation, tant musicale que théâtrale, car il en a exactement le physiques et les couleurs vocales. On pouvait aussi se douter que Léo Vermot-Desroches camperait un Nicias de grand luxe, auquel il prêterait une voix opulente, digne d’un personnage de premier plan (pourquoi diable Massenet ne lui a-t-il pas écrit davantage à chanter !).
© Opéra de Saint-Étienne-Cyrille Cauvet
On ne s’étonne pas non plus que Guilhem Worms soit un Palémon sobre et digne, ni que Marie Gautrot soit une sévère Albine. Mais l’on est agréablement surpris de découvrir que Ruth Iniesta est une Thaïs remarquable, maîtresse du suraigu nécessaire, capable de traduire toute la sensualité du personnage (notamment lorsqu’elle danse avec son alter ego susmentionné) et qui s’exprime dans un français assez impeccable – il est loin, heureusement, le temps où des stars internationales maltraitaient allègrement notre langue comme s’il était impossible à des étrangers de la chanter sans un accent à couper au couteau. Les seconds rôles sont tout à fait bien tenus, et le chœur de l’Opéra de Saint-Etienne (préparé par Laurent Touche) s’investit à fond dans ses diverses apparitions, notamment l’ultime vision d’Athanaël.
Un spectacle qui mériterait d’être repris sur d’autres scènes, avec une distribution aussi idoine si possible.
Laurent Bury
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Massenet : Thaïs – Saint-Etienne, Opéra Théâtre, 19 novembre 2024
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