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Benedict Klöckner et Anna Fedorova en duo – Romantisme frémissant – Compte-rendu

 

Si l’on sait déjà la vigoureuse virtuosité, l’intensité du jeu de l’ukrainienne Anna Fedorova, l’on connaît moins, dans l’hexagone, et pour être honnête, à peu près pas du tout, le violoncelle de Benedict Klöckner, qu’un concert privé versaillais a permis de découvrir. Soirée partagée, donc, par quelques heureux privilégiés, mais qui aura sans nul doute une suite, car pour le violoncelliste allemand, la voie s’ouvre royale. En fait, en Allemagne, en Angleterre, aux Etats Unis et en bien d’autres pays, il est déjà une vedette, promenant son magnifique Francesco Ruggeri de 1680, que joua pendant trente ans Maurice Gendron, l’une de ses idoles. A 35 ans, Klöckner est déjà un éminent acteur de la vie artistique outre-Rhin, grâce notamment au riche festival de Coblence qu’il dirige depuis dix ans, et l’appréciation que font de lui des géants tels que Rattle ou Barenboïm est impressionnante.

 

© benedictkloeckner.de

La France l’a donc à peu près ignoré jusqu’à présent, bien que le jeune artiste se soit installé à Paris depuis quelque temps. Il est vrai que les grands violoncellistes, et notamment Edgar Moreau avec lequel Klöckner a déjà joué, ne manquent pas ici. Mais le disque Dvořák  (1) qui vient de sortir, enregistré à Coblence avec l’Orchestre de chambre de Roumanie et Cristian Măcelaru à la baguette, devrait un peu plus susciter l’attention, car il témoigne d’une poésie, d’une sensibilité et d’une respiration dans le trait musical, si brillant soit-il, qui créent un moment de pur enchantement, où les rythmes de l’Europe centrale, passant du fameux Concerto op. 104 à diverses autres pièces, vibrent avec une grâce et une joie de vivre irrésistibles.
 
Même choc avec le duo que Klöckner a formé à Versailles avec Anna Fedorova pour cette mise sur le tremplin : les deux artistes, d’ailleurs, sont alliés depuis des années et ont enregistré les Sonates de Franck et de Chopin… En ouverture, les Forêts silencieuses, op.68 n°5, que Dvořák écrivit comme un au-revoir à sa Bohême avant son départ pour les Etats-Unis, ont plongé dans le rêve : on commençait à prendre la mesure de l’archet du violoncelliste, flottant comme un esprit, limpide, d’une finesse presque irréelle. Puis s’est imposée la vision structurée, puissante, rebondissante, de Brahms, avec la Sonate n°2 en fa majeur, où les sonorités et les rythmes du clavier et du violoncelle se mariaient d’une même respiration.
 

Anna Fedorova © DR

 
Aéré, autant que fin, tels sont les mots que l’on a envie d’accoler au jeu de Klöckner, qui repose plus sur une légèreté frémissante que sur les graves vrombissant qu’émettent souvent les grands violoncellistes. On a pu ensuite en juger avec la gaieté du Rondo en sol mineur op.94 et de la Danse slave en sol mineur, op.46 n°8, de Dvorak, ainsi qu’avec l’allure altière de la Polonaise brillante en ut majeur, op.3 de Chopin. Pour finir sur l’incroyable Encore écrit par Jérôme Ducros pour ce duo d’instruments, et créé en 2000 avec Jérôme Pernoo : du vrai Paganini pour violoncelle et piano. Irrésistible !

Egalement passionné de musique contemporaine, interprète inspiré des Suites de Bach, Benedict Klöckner, avec Anna Fedorova, sa belle partenaire, a cette fois témoigné d’un romantisme frémissant : on a hâte d’entendre ce son rayonnant dans une grande aire, où le superbe instrument parvenu de Crémone jusqu’à nous donnera toute sa mesure.
 
Jacqueline Thuilleux

 

Voir les prochains duos violon/violoncelle et piano <

(1) Dvořák, avec le Romanian Chamber Orchestre, direction Cristian Măcelaru / Danae Dörken, piano (1 CD Berlin Classics)

Versailles, le 17 novembre 2024

Site de Benedict Klöckner : https://www.benedictkloeckner.de/en/
 
 
Photo © benedictkloeckner.de

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