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Une interview de Vannina Santoni, soprano – « Nous avons toutes quelque chose de différent à apporter. »
Les célèbres Dialogues des Carmélites retrouvent une nouvelle fois le théâtre des Champs-Elysées. Production marquante créée en 2013, remontée en 2018 et présentée sur diverses scènes, elle fait partie des préférées de Michel Franck, directeur des lieux qui, pour sa dernière saison, a souhaité revoir sur ce plateau le drame de Bernanos, magnifié par la musique de Poulenc dans la mise en scène captivante d’Olivier Py. A cette occasion, Vannina Santoni fera ses débuts dans le rôle de Blanche de la Force incarné jusque-là par Patricia Petibon qui, quant à elle, interprétera celui de Mère Marie. Nous avons rencontré la soprano à quelques jours d’une reprise qui tiendra l’affiche du 4 au 12 décembre, pour cinq représentations placées sous la direction de Karina Canellakis, à la tête de l'Orchestre Les Siècles.
Vous êtes l’une des rares chanteuses de votre génération à être à ce point liée au Théâtre des Champs-Elysées depuis vos débuts dans Traviata en 2018, une scène qui vous a servi de véritable laboratoire puisque vous y avez interprété la Comtesse des Nozze di Figaro, Fiordiligi de Cosi fan tutte, Micaëla et Grisélidis en concert et sauvé une représentation de Pelléas et Mélisande. Rêviez-vous d’y aborder le rôle de Blanche de la Force et faisait-il partie des partitions que vous teniez absolument à interpréter ?
Oui absolument ! Il est apparu assez tardivement dans ma carrière, sans doute parce qu’à mes débuts la jeune soprano lyrique, lyrique-léger que j’étais avait d’autres rêves en tête et par ce que ce rôle me semblait trop « imposant ». Il faut une certaine expérience pour l’aborder et pas seulement vocale, ou musicale, il nécessite un parcours personnel riche que l’on ne peut acquérir qu’en travaillant. Le temps a donc fait naturellement son œuvre et depuis quelques années ce personnage s’est imposé et de fantasmé je n’attendais plus qu’il se concrétise, ce qui est fait.
© Cyprien Tollet - TCE
Bien que votre répertoire soit tout sauf limité, la musique française y tient une place de choix. Qu’est-ce qui fait la singularité de Blanche, aussi convoitée semble-t-il que Manon, Mélisande, Juliette ou Leila, des héroïnes que vous avez chantées assez tôt dans votre carrière ?
L’écriture de Poulenc est tout à fait particulière et demande une grande maîtrise de toute la tessiture, car même si Massenet ou Gounod exigent des types de voix différents, leur écriture est plus souple, plus lyrique, alors que chez Poulenc elle est toujours plus brute. Cela tient au fait que ce compositeur cherche à être au plus proche du texte et de l’émotion. Chez Blanche, elles sont diverses, car bien qu’il s’agisse d’une jeune fille maladivement angoissée, elle passe par différents stades, de l’hystérie à une espèce d’abattement, de dépression, ce qui ne l’empêche pas de pouvoir sourire ou de s’amuser très furtivement. Il faut savoir maîtriser ces états, être capable d’intégrer ces éclats de fureur dans sa propre voix sans risquer de se faire mal. Je trouve en cela que l’écriture de Blanche est à part, un peu comme la Lulu de Berg, je vais peut-être un peu loin, mais je ne peux pas la comparer à des Juliette ou à des Manon qui disposent de mélodies qui les portent et les soutiennent. Rien n’est facile dans les Dialogues et pour personne.
Vous avez la chance d’aborder ce rôle dans la production d’Olivier Py qui a été unanimement saluée et qui depuis sa création, ici même en 2013, est devenue un classique. L’aviez-vous vue à Paris, Toulouse, Bruxelles ou Tel Aviv, ou en DVD, et la conception de cette mise en scène correspond-elle à ce que vous vous faisiez de l’œuvre ?
Bien évidemment j’en ai entendu parler très tôt, pas en 2013, mais un peu après et me suis rendue Youtube pour en découvrir quelques bribes, par curiosité. Mais il faut bien avouer que sur un écran c’est assez réducteur et comme le spectacle est sombre il n’est pas facile de s’immerger aisément dans cet univers ; mais j’avais saisi la symbolique. Cette version correspond exactement ce que j’attendais de l’opéra et je considère le fait de débuter dans une telle mise en scène comme une grande chance. Tout est étudié, rien n’est laissé au hasard et Olivier Py sait ce dont il parle, maniant l’art de l’épure tel que le voulait Poulenc. Nous sommes ainsi recentrées sur l’essentiel ce qui nous permet de traduire la réalité de tous ces événements et de toutes ces émotions tout en développant cette sororité qui nous conduit à l’intime.
Vous aurez également l’opportunité de donner une représentation de cet ouvrage à Compiègne, le 14 décembre, la ville où se trouvait le couvent des Carmélites dont l’histoire est évoquée par Bernanos. Qu’est-ce que cela va ajouter à cette expérience ?
J’ai entendu dire que la salle était pleine. Je crois que ce moment va être très fort car il y aura des gens très impliqués qui essaient de canoniser les Carmélites depuis longtemps, sans résultat pour le moment, malgré l’épaisseur du dossier. Moi-même qui ne suis pas croyante suis pourtant sensible à toute forme de foi et ne suis pas indifférente au fait qu’il s’agisse toujours d’une forme de solidarité – en se gardant bien d’éviter les extrêmes. Qu’on le veuille ou non, cela résonne avec l’actualité, aux femmes maltraitées, aux souffrances diverses ...
© Cyprien Tollet - TCE
L’un des points forts de ce spectacle aura été sa distribution presque exclusivement constituée d’artistes français, dont certains ont pu participer à chaque reprise comme Patricia Petibon, Véronique Gens, Sophie Koch ou le chef Jérémie Rhorer. Est-ce facile pour vous qui arrivez à la fin de cette aventure, de vous immiscer à ce noyau fidèle et solide ?
Tout cela est lié au directeur des lieux, Michel Franck. Je n’éprouve aucune difficulté à partager ce spectacle auprès de celles qui en sont à l’origine, surtout quand je vois Véronique Gens, qui connaît la production sur le bout des doigts, continuer d’avoir des doutes, chercher comme s’il s’agissait d’une première fois. Patricia Petibon chante désormais le rôle de Mère Marie et Sophie Koch celui de Mme de Croissy, ce qui constituent de nouveaux défis pour elles deux et pour l’ensemble de l’équipe. J’avais une petite appréhension au départ, car j’admire l’investissement théâtral de Patricia, son travail sur les couleurs, mais je fais partie de celles qui ne craignent pas la comparaison. Je suis persuadée que nous avons toutes quelque chose de différent à apporter. Les gens apprécieront ou pas, mais il y aura toujours ceux qui découvriront la mise en scène. J’arrive avec mon bagage, les idées que j’ai envie de transmettre, ce que j’ai à dire dans ce rôle et sur le plateau nous sommes toutes bienveillantes. Je partage un lien avec Patricia depuis que je l’ai remplacée en Mélisande un jour où elle était malade et tout cela participe au fait que nous travaillons à la réussite du spectacle. Nous avons toutes une foi en quelque chose et cette œuvre nous transporte, nous transcende. Je n’ai jamais ressenti en musicale à 10 heures du matin, une telle intensité avec une autre œuvre : j’étais au bord des larmes juste à les écouter répéter ce matin le 3e acte, celui de la prison, où j’étais simple spectatrice, bouleversée. Au finale, Blanche doit arriver comme on ne l’a jamais vue, sereine, libérée, elle esquisse un sourire et se dirige vers l’échafaud digne, comme les autres carmélites.
Pouvez-vous nous parler de vos futurs engagements et notamment de cette nouvelle héroïne qui se profile, la Marguerite du Faust de Gounod que vous devez interpréter sur la scène de l’Opéra-Comique en juin prochain ?
Nous commencerons d’abord à Lille dans une mise en scène de Bruno Podalydès, dont j’admire le travail et où j’aurais pour partenaire Julien Dran en Faust. Je sais juste que l’atmosphère générale sera sombre, à l’image de cette œuvre qui m’attire depuis de longues années. Avant cela je reprendrai Micaëla à Versailles, en second cast. Mais je suis heureuse de vous annoncer la sortie de mon premier album solo chez Alpha. Cet enregistrement n’était pas prévu, mais j’ai pu profiter d’une opportunité pour concevoir très rapidement un programme qui se veut une sorte de portrait et qui s’intitule « Par amour », car nous avons besoin d’en parler, surtout aujourd’hui.
Sa sortie est d’ailleurs prévue le 14 février et vous me retrouverez dans des airs issus des répertoires français et italien avec un petite rareté d’Alfano extraite de son opéra Risurrezione (« Giunge il treno… Dio pietoso ») que j’ai eu envie de faire connaître, le tout étant placé sous la direction de Jean-Marie Zeitouni avec qui j’ai chanté Grisélidis (1), qui doit sortir d’ailleurs en 2025 dans la collection Opéra Français du Palazzetto Bru Zane. Puis il y aura la nouvelle création commandée par l’Opéra de Paris. Vous savez j’ai une famille et je fais attention à ne pas surcharger mon agenda. J’essaie d’être présente pour mes enfants, j’ai toujours agi comme cela et ne veut pas me rendre malheureuse, cet équilibre me va car il faut garder le plaisir de chanter.
Propos recueillis par François Lesueur, le 19 novembre 2024
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Poulenc : Dialogues des Carmélites
4, 6, 8, 10 & 12 décembre 2024
Paris – Théâtre des Champs-Elysées
www.theatrechampselysees.fr/saison-2024-2025/opera-mis-en-scene/dialogues-des-carmelites
Photo (pendant les répétitions) © Cyprien Tollet - TCE
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