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​La Cenerentola au Théâtre de Caen – Rossini chez les zombies – Compte rendu

 
 
« Je pensais bien que la comédie changerait de ton. » Cet aparté de Dandini, le valet du prince de Salerno, à la fin du deuxième acte, ne saurait mieux résumer l’esprit de cette nouvelle production de « La Cenerentola ». Confier la mise en scène de l’ultime opéra bouffe de Rossini à Fabrice Murgia, c’était accepter par avance une autre vision de l’histoire de Cendrillon. Peut-être plus proche de Perrault, assurément loin du dessin animé de Disney. D’un conte sucré et propret, cette Cendrillon devient un spectacle acide et humoristique. Car avant de parler de la musique, des interprètes, de l’orchestre et du chef, cette Cenerentola s’impose par le parti pris décalé adopté par le metteur en scène.
 

© Simon Gosselin

Tignasse verte, collier à clous, collants troués et grosses chaussures noires à semelles très épaisses, ainsi se présente Angelina. Le ton est donné. Cendrillon a du caractère et du cœur. Les autres personnages n’ont rien à lui envier : le prince Ramiro a lui aussi des airs gothiques ; Don Magnifico se présente tour à tour en survêtement et casquette de base-ball (orné d’un « Make opera great again »), en Texan coiffé d’un Stetson et en Dracula plus risible qu’effrayant. La palme du mauvais goût (voulu) revenant à Clorinda et Thisbe affublées de robes flashy et de déguisements de diablesse en skaï fort moulants.
 

© Simon Gosselin

Dans cet univers digne de la famille Addams, de Tim Burton et des films d’horreur avec zombies, le plateau ne dénote pas. L’action se déroule dans un hôtel kitsch avec grand escalier, bar et salle de restaurant (où a lieu une soirée largement arrosée). De la salle, le public embrasse l’ensemble de l’action et il peut aussi suivre (avec un léger décalage audio) certains détails du jeu des artistes, grâce à des images vidéo projetées en live. Les nombreuses références au cinéma gore, aux films expressionnistes et aux séries télé, constituent autant de clins d’œil, parfois difficiles à saisir, et tous ces ingrédients donnent lieu à une farce (dans les deux sens du mot : facétieux et culinaire) un peu lourde.

 

© Simon Gosselin

Reste la musique et les interprètes. De la distribution, homogène et « rossinienne », Beth Taylor explose littéralement. Bien sûr, la partition sert admirablement le rôle-titre. Encore faut-il pouvoir l’incarner vocalement ! Ce qui est le cas de la mezzo-soprano écossaise. Par l’ambitus de sa voix (de vrais graves de contralto) et par une forme d’évidence dans le chant orné et les coloratures, elle mérite tous les éloges. L’Italien Dave Monaco (Don Ramiro) se montre lui aussi très séduisant ; Alessio Arduini (Dandini), Gyula Nagy (Don Magnifico) et Sam Carl (Alidoro) tiennent leur partie sans coup férir ; Alix Le Saux (Thisbe) et Héloïse Poulet (Clorinda) caquettent avec art.
 

Giulio Cilona © Barbara Rigon

Dans la fosse, chaque pupitre de l’orchestre de l’Opéra national de Lorraine brille de mille feux sous la baguette inspirée et précise de Giulio Cilona. Non content d’enflammer les musiciens, le jeune chef belgo-américain joue lui-même, avec humour et goût, les récitatifs secco sur une très belle copie de pianoforte Stein.
 
Thierry Geffrotin
 

 
Rossini : La Cenerentola – Caen, Théâtre, 14 janvier 2025 ; prochaines représentations : Opéra de Reims, 24 et 26 janvier 2025 : operadereims.com/event/la-cenerentola-24-25/

& Théâtres de la Ville de Luxembourg, 21 et 23 mai 2025.

Photo © Simon Gosselin
 
 

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