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Mazeppa de Clémence de Grandval à Munich - Une élève plus douée que le maître ? – Compte rendu

 
Mettre les compositrices à l’honneur, voilà une action louable. Mais quand au geste symbolique s’ajoute la redécouverte d’une œuvre de premier plan, qui mériterait de s’inscrire au répertoire, c’est encore mieux, et cela semble être le cas avec Mazeppa, ultime œuvre lyrique de Clémence de Grandval (1828-1907) : la valeur de cet opéra en cinq actes, créé au Grand Théâtre de Bordeaux en 1892 (2), fut suffisamment reconnue pour qu’il soit monté à Anvers en 1896, à Marseille en 1897, à Montpellier en 1904 et à Dijon en 1905, mais il lui manque évidemment la consécration suprême qu’aurait été une série de représentations à Paris.
 

Clémence de Grandval (1828-1907) © PBZ

La compositrice y manifestait pourtant un véritable sens du théâtre qui manquait parfois à son maître Saint-Saëns : inspiré du même poème de Pouchkine que le Mazeppa de Tchaïkovski créé en 1884, celui de Clémence de Grandval se révèle tout à fait efficace une fois le drame noué. Et même si l’intrigue impose un certain nombre de chœurs guerriers – l’action se situe sous Pierre le Grand, et plus précisément autour de la bataille de Poltava en 1709 et son héros ukrainien Ivan Stepanovitch Mazepa. Cinq personnages seulement, l’idylle liant Matréna à Mazeppa étant contrariée à la fois par le père la jeune fille, Kotchoubey, et par un ancien amant, Iskra, le tout sous les yeux d’un archimandrite (abbé d’un monastère orthodoxe). Les passions politiques et amoureuses sont exacerbées, et l’héroïne finit par basculer dans la folie et meurt, suscitant le désespoir de Mazeppa.
 

© BRMarkus Konvalin

Le cadre exotique appelait une certaine couleur locale – Clémence de Grandval avait-elle eu accès aux partitions de ses contemporains russes ? – pour l’évocation poétique des paysages et pour le grand ballet du quatrième acte, figure imposée dont la compositrice s’acquitte brillamment. De manière générale, les mélodies et leur orchestration reflètent une vraie personnalité et une inspiration qui ne s’essouffle pas au fil de la soirée.
C’est une fois encore à Munich, avec l’orchestre et le chœur de la radio bavaroise, que le Palazzetto Bru Zane a trouvé le cadre idoine pour ressusciter ce grand opéra français. Les musiciens allemands, qui ont déjà brillé dans plus d’une opération couronnée de succès (citons, entre autres, Le Tribut de Zamora en 2018 ou Ariane de Massenet en 2023) prouvent à nouveau leur adéquation avec ce répertoire. Cette fois, ce n’est ni Ulf Schirmer – qui les dirigea dans Dante de Godard, Proserpine de Saint-Saëns ou Cinq-Mars de Gounod – ni Hervé Niquet ou Laurent Campellone qui est à leur tête, mais l’Estonien Mihhail Gerts, en qui le répertoire français trouve un autre défenseur aussi convaincant que convaincu.
 

© BRMarkus Konvalin

Parmi les cinq solistes, Pawel Trojak est un archimandrite au discours énergique et au timbre séduisant. Ante Jerkunica, Méphistophélès du Fausto de Bertin, offre à Kotchoubeï d’impressionnantes notes graves. Julien Dran, amoureux transi et vindicatif, se dépense sans compter dans un rôle qui le met en valeur. Incarnant l’unique personnage féminin de ce drame, Nicole Car fait merveille, par son français impeccable, par l’ardeur de son jeu et par la beauté de sa voix. Quant à Tassis Christoyannis (photo), compagnon indispensable des efforts du Palazzetto, il trouve ici encore l’occasion de donner toute la mesure de son talent, même si la partition ne permet en aucun cas au rôle-titre de tirer la couverture à soi.

L’enregistrement, réalisé au cours des journées ayant précédé ce concert, est maintenant attendu au milieu de la très riche programmation discographique du PBZ.
 
Laurent Bury
 

(2) Lire le CR de la création bordelaise : www.concertclassic.com/article/les-archives-du-siecle-romantique-87-la-creation-de-mazeppa-de-clemence-de-grandval-lopera
 
Clémence de Grandval : Mazeppa - Munich, Prinzregententheater - 20 janvier 2025

Photo © BRMarkus Konvalin
 

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