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Semele au Théâtre des Champs-Elysées – Aux urnes, Cendrillon ! – Compte rendu
C’est déjà au Théâtre des Champs-Elysées qu’avaient eu lieu les dernières représentations de Semele à Paris, en 2010, où était reprise la production de David McVicar, créée au même endroit en 2004. Depuis, une version semi-scénique a été proposée par John Eliot Gardiner à la Philharmonie de Paris, mais c’était en 2019. Il était donc temps que l’œuvre fasse retour dans la capitale, et c’est en s’associant avec le Royal Opera House que le TCE en propose une nouvelle production.
© Vincent Pontet
Le directeur de Covent Garden, Oliver Mears, a choisi d’en assurer lui-même la mise en scène, et le spectacle qu’il a conçu est cohérent, il se regarde avec plaisir, même s’il ne marquera peut-être pas durablement les esprits. Il a sur ce plan la malchance d’arriver trop vite après le passage à Lille de l’assez stupéfiante production signée Barrie Kosky (1), que l’on n’est près d’oublier. Là où l’Australien optait pour un univers fantasmagorique d’avance calciné, le Britannique préfère une vision réaliste de cet épisode mythologique, transposé à l’aube des années 1970, dans une grande demeure bourgeoise où s’active une armée de domestiques. Jupiter et Junon sont les maîtres de maison, Sémélé, Ino, Cadmus et Athamas étant tous des serviteurs du couple, gratifié de trois filles qui apparaissent parfois ave ou sans leur bonne.
Une cheminée trône au centre de la pièce, et sa grille sert même de rideau de scène, l’ouverture étant utilisée pour montrer d’emblée toutes les relations qui unissent les différents personnages. Sémélé vide l’âtre de ses cendres, corvée dont elle est vite détournée par Jupiter par l’entraîne à l’écart pour de tout autres tâches.
© Vincent Pontet
Au dernier acte, après avoir donné naissance au petit Dionysos, elle sera incinérée vivante dans ce même foyer, l’enfant sera adopté par les propriétaires du lieu, et l’on comprend que ce n’était qu’un moment comme tant d’autres dans un processus sans cesse recommencé. L’ennui, c’est qu’à faire de Jupiter un porc que personne n’arrive à balancer, un Barbe-Bleue/Landru qui enferme ses conquêtes dans des urnes, on rend le personnage parfaitement haïssable, avec ce résultat trop souvent constaté : la musique écrite pour lui perd tout pouvoir d’émotion dès lors qu’elle n’est plus que discours sans âme visant à embobiner une victime supplémentaire. Haendel aurait-il écrit « Where’er you walk » et d’autres airs superbes si Jupiter n’était qu’une brute inhumaine ?
C’est d’autant plus regrettable que Ben Bliss aurait tout pour être un interprète remarquable, si le rôle n’était pas amputé de toute dimension véritablement amoureuse. Le ténor américain possède un timbre séduisant, une indéniable prestance, et l’on aimerait le réentendre dans un cadre qui le laisserait investir les différentes facettes du personnage au lieu d’en faire un monstre froid. Junon subit un traitement semblable, mais c’est moins grave, et plus fréquent dans les différentes productions de l’œuvre : l’épouse blessée cède ici la place à une mégère un brin caricaturale, ogresse tyrannique qu’on voit livrer Pasithée (une de ses employées) à la concupiscence de Somnus. Cette Junon fait rire malgré tout, et Alice Coote a bien du mérite d’arriver à préserver une certaine dignité à son personnage.
© Vincent Pontet
A Brindley Sherratt revient néanmoins la palme du comique, son Somnus ivrogne battant des records, la basse britannique incarnant aussi un Cadmus nettement plus sérieux mais au grave tout aussi autoritaire. Déjà Athamas pour John Eliot Gardiner en 2019, Carlo Vistoli est vocalement superbe et l’on regrette que la partition ne lui accorde pas plus de place, d’autant que l’acteur n’est pas en reste, rendant admirablement le caractère de celui qui passe d’une épouse à une autre avec moins de facilité que ce n’est parfois le cas. Marianna Hovanisyan fait joliment le peu qui est demandé à Iris. Très belle découverte avec Niamh O’Sullivan, mezzo irlandaise au timbre conquérant, qui confère à Ino un grand relief, sur le plan musical autant que théâtral, elle aussi. Chez elle comme pour le reste de la distribution, on admire le soin apporté à la déclamation, qui met bien en valeur le texte de Congreve.
© leconcertd'astree.fr
Quant à Pretty Yende (photo), dont la présence est peut-être l’une des raisons pour lesquelles le TCE faisait salle comble en ce soir de première, elle offre une voix plus riche que certaines titulaires – n’est pas Traviata à Garnier ou Manon à Bastille qui veut – et l’indispensable maîtrise de la virtuosité (beau « I’ll take no less » hérissé de vocalises), tout en incarnant finement son personnage de gentille qui se fâche après s’être découverte enceinte pendant « Myself I shall adore ».
Deux ans et demi après leur brillante prestation lilloise, l’orchestre et le chœur du Concert d’Astrée reviennent : ils n’ont rien perdu de leur énergie ou de leur clarté, et Emmanuelle Haïm les dirige avec toujours autant d’efficacité et de précision dans les gestes.
Laurent Bury
Haendel : Semele – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 6 janvier ; prochaines représentations les 9, 11, 13 & 15 février 2025 // www.theatrechampselysees.fr/saison-2024-2025/opera-mis-en-scene/semele
© Vincent Pontet
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