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Les Saisons de Thierry Malandain au 13e Art – Au fil du tempo – Compte rendu

 

Certes, le chorégraphe définit son ballet comme une ode à la nature, mais c’est surtout vers un paysage intérieur qu’il nous mène, nous entraînant dans un monde dont la beauté se rétrécit à force d’être menacée. Ces Saisons, déjà vues à leur création à Cannes en novembre 2023 puis à l’Opéra Royal de Versailles le mois suivant, sont une fascinante descente dans le déroulement des différentes péripéties que fait vivre la nature – un mot qui reste à définir par sa complexité – et auxquelles les hommes sont bien obligés de s’adapter en les contournant de façon parfois fâcheuse.
 
 
Quand Vivaldi rencontre Guido

 
L’idée initiale, donnée par Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles Spectacles, étant de mêler les célébrissimes tableaux sonores créés par Vivaldi, et ceux plus secrets, de son contemporain, le violoniste génois Giovanni Antonio Guido (1675-1729). Deux moments de la sphère baroque, avec ses entrelacements, ses coups d’éclats impétueux, ses mélodies veloutées dans le cas du premier, ses broderies plus discrètes pour le second, qui les fit vibrer à la cour de France, sous la Régence puis Louis XV.

 

© Olivier Houeix

Nostalgie d'un Eden perdu
 
Ce qui permet à Malandain, maître dans l’art de créer des climats sans pour autant donner dans le narratif strict, de tendre la main à une danse d’antan, dont il garde les délicieux moulinets de bras, les légères saltations, drapées dans de jolies esquisses de costumes à l’ancienne, qui leur donnent un air précieux, puis de lancer ses danseurs dans des galopades venteuses lorsqu’il s’agit de Vivaldi, ou de vibrants rappels de danses villageoises .Vraie féerie musicale, portée par l’enregistrement vigoureux et coloré de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles et de son chef Stefan Plewniak, tout est ici baigné dans une sorte de douloureuse nostalgie d’un Eden perdu, avec le superbe décor de Jorge Gallardo, fait de grands pétales dont les couleurs évoluent au fil des Saisons. Tandis que s’agitent des êtres surnaturels aux bras prolongés de longues ailes noires, qui ondoient, volent, passent comme des courants d’air, images d’un monde en perpétuel frémissement. Rien n’est véritablement dit, tout est suggéré avec une poésie triste, comme un constat inéluctable.

 
Comme une grande forêt en marche
 
Au passage, on remarque à quel point ces Saisons tracées par des compositeurs italiens, sont différentes de celles, sublimes, qu’écrira plus tard Haydn au tournant du XIXe siècle. Chez le Prêtre roux notamment, peu de rappel à la création divine, qui illuminera au contraire l’œuvre du grand maçon, comme un Hymne au créateur, son Hiver finissant par l’espoir d’un éternel printemps, tandis que chez ses prédécesseurs, la mélancolie est plus profonde, comme une entrée dans un long silence, bien qu’il y soit suggéré pour finir, que l’hiver a du bon. Sommeil ou néant ? Le ballet esquisse l’inquiétante question.
Magnifiques moments que ces successions de corps tourmentés, parfois soudés, avec des ensembles subtilement charpentés où le Ballet de Biarritz tape du pied et montre ses belles capacités, son harmonie avec le chorégraphe, sans parler de soli ou de duos où brille particulièrement le toujours remarquable Hugo Layer. Comme une grande forêt en marche, où l’on n’a pas véritablement besoin de voir émerger des individualités.
 

© Olivier Houeix

 
Ondes partagées

 
On ne peut regarder cette mélancolique percée dans le temps qui passe, au fil des saisons mais aussi des erreurs humaines, sans rappeler que pour Thierry Malandain, l’aventure biarrote à laquelle il adonné toute son énergie, toute son inventivité déchirée, et osons le dire, tout son amour, est pour le moment une triste et imminente perspective, que le chorégraphe, écorché vif, avoue vivre difficilement. Il est comme le deus ex machina d’un univers mobile qu’il fait si bien tourner, et dont ces Saisons, emportées par l’éblouissante intensité de la musique puis s’enfonçant dans les frimas , sont comme une métaphore. Mais on sait sa capacité à rebondir, tant la beauté qui a soutenu toute sa carrière, toutes ses recherches, son désir d’harmonie et de mouvement  libérateur, saura lui donner d’autres ailes que celles qu’il a accrochées à ses superbes danseurs. On ressort de cette vision intimiste et pourtant spectaculaire comme en fusion avec un univers mental, et c’est bouleversant. Peu de chorégraphes savent ainsi nous faire partager leurs propres ondes, en un exercice d’introspection qui se projette à la face du spectateur.
 
Jacqueline Thuilleux
 

Les Saisons (mus. Vivaldi et Guido / chor. T. Malandain- - Paris, Le 13e Art, le 5 février 2025 ; jusqu’au 15 février 2025. le13emeart.com  // Reprise à l’Opéra Royal de Versailles les 12 et 14 juillet 2025 // www.operaroyal-versailles.fr/event/vivaldi-guido-les-quatre-saisons/
 
 
Photo © Olivier Houeix

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