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Idomeneo au Nordhausen Theater – Archéologie des sentiments – Compte rendu
![© Tony Burckhardt](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/styles/asset_picture_default_400x250/public/ido_1_.jpg?itok=knez-5DE)
Monter Don Giovanni, comme Benjamin Prins l’a fait en 2023 à Nordhausen (il est directeur artistique du théâtre de cette ville de Thuringe), c’est une chose : à part l’apparition finale du Commandeur, le dramma giocoso est dans l’ensemble réaliste, et il se prête sans trop de difficulté à la transposition. S’attaquer à un opera seria comme Idomeneo est une autre affaire, sauf si l’on recourt à la solution paresseuse consistant à transformer les captifs troyens en migrants et le roi de Crète revenant de la guerre de Troie en général occidental de retour en son pays.
![© Tony Burckhardt](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/ido_2_.jpg)
Pour cette nouvelle production, il a été décidé de proposer une version abrégée de l’œuvre : pour Don Giovanni, le choix de donner les airs en italien et les récitatifs en allemand fonctionnait très bien, en partie grâce aux éléments comiques de l’œuvre, mais cette fois, les récitatifs, même en langue vernaculaire, ont été réduits au minimum, le soin de lier les arias entre elles étant confié à un récitant. Mais pour mieux intégrer ce conteur à l’intrigue, on en fait davantage qu’un simple Historicus comme peut l’être l’Evangéliste dans le récit de la Passion : ce narrateur-ci est un homme d’aujourd’hui, que l’on découvre sur un canapé, dans son salon, où il écrit (sur le clavier de son ordinateur portable) l’histoire d’Idoménée en même temps qu’il la relate. Comme le roi, il a lui-même un fils, un marin qui semble avoir été sacrifié – cet aspect reste suggéré de manière allusive – et il s’associe bientôt plus ouvertement à l’action, au point de devenir la voix de Neptune, dont il a la barbe et l’opulente chevelure.
![© Tony Burckhardt](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/ido_c_tony_burckhardt.jpg)
Autour de lui, les protagonistes semblent davantage appartenir à un univers antique, même si leurs costumes jouent aussi sur plusieurs époques : cuirasse pour Idoménée, mais veste moderne pour Idamante, haillons chics pour Ilia, robe grecque revue par un styliste pour Electre. Le décor renvoie à la fois à la mer, inévitablement, mais aussi au théâtre baroque, avec ces pendillons reproduisant la même image de littoral, certains éléments tournant sur eux-mêmes pour ménager une entrée spectaculaire à certains personnages. Trois figurants se partagent les différents personnages auxquels il est fait allusion dans les airs, et l’on voit ainsi Priam, Oreste ou les furies apparaître à différents moments, comme pour mettre à jour tous ces sentiments enfouis qu’expriment les arias, comme si le narrateur aux allures de psychanalyste exhumait le passé des toutes ces figures mythiques réunies en Crète.
Le théâtre de Nordhausen étant en travaux depuis 2022, sa grande salle reste inaccessible, mais les spectacles sont désormais donnés dans l’extension nouvellement ajoutée au bâtiment historique. Une salle de quelque 300 plages a pu être aménagée dans l’espace d’un atelier de décors mais, revers de la médaille, l’absence d’acoustique du lieu impose une sonorisation des instrumentistes : sous la direction de Pavel Baleff, le Loh-Orchester Sondershausen joue à l’arrière du plateau, et l’on espère qu’il pourra bientôt se faire entendre dans un lieu plus idoine, sans être filtré par des micros. Composé d’une vingtaine d’artistes, le chœur du Theater Nordhausen remplit dignement son rôle dans cette œuvre où sa participation est indispensable à la péripétie, le sacrifice évité in extremis.
![© Tony Burckhardt](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/ido_.jpg)
C’est de la troupe que sont issus les solistes, la version abrégée de la partition pouvant tantôt l’aménager en fonction de leurs moyens, tantôt réduire leur participation à de la simple figuration. Arbace perd ainsi tout ce qu’il a à changer, et son rôle devient celui d’un grand-prêtre de Neptune. En Idoménée, Kyounghan Seo, vu en Don Ottavio il y a deux ans, bénéficie de la suppression des vocalises de « Fuor del mar », donné en version extra-courte, mais n’en impose pas moins un personnage convaincant.
Thomas Kohl, entendu en Commandeur dans Don Giovanni, se montre un acteur particulièrement convaincant dans le rôle essentiellement parlé du récitant, mais s’acquitte avec conviction de l’intervention de Neptune. Annika Westlund est un Idamante androgyne, au timbre séduisant, dont la diction pourrait être parfois plus nette. Comme c’est souvent le cas, « Padre, germani » cueille un peu à froid la titulaire d’Ilia, l’air appelant une voix plus ample, aux accents plus dramatiques, que ceux des autres actes, Yuval Oren, jadis Zerline, se montrant beaucoup plus à l’aise ensuite, notamment dans un « Zeffiretti lusinghieri » fort bien maîtrisé. Julia Ermakova, enfin, évite l’histrionisme auquel succombent parfois les interprètes d’Electre mais fait valoir une voix agile et chaude.
Laurent Bury
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> Les prochains opéras de Mozart <
Mozart : Idomeneo – Theater Nordhausen, 9 février (troisième représentation) ; prochaines représentations les 22 février, 9 mars et 29 mars 2025 // theater-nordhausen.de/musiktheater/idomeneo
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