Journal
Une interview de Sayaka Shoji, violoniste – « Je suis juste musicienne, et je suis curieuse. »

Applaudie en décembre dernier à la Philharmonie de Paris dans un phénoménal Concerto n°1 de Paganini avec l’Orchestre national d’Île-de-France (1), Sayaka Shoji – cela ne se sait pas toujours assez – l’une des plus grandes violonistes de ce début de XXIe siècle, nourrie de l’enseignement de Zakhar Bron, Uto Ughi et autre Shlomo Mintz Elle vient de faire paraître une magnifique version des Sonates pour violon et piano KV 301, 378 et 454 de Mozart (le 2e volume d’une intégrale en cours chez Arcana), réalisé avec la complicité d’un partenaire de longue date : Gianluca Cascioli. Pour cet enregistrement, l’artiste japonaise, qui se fit connaître en remportant le 1er prix du Concours Paganini de Gênes en 1999, joue sur le Stradivarius « Récamier » (de 1729) avec des cordes en boyau. Gianluca Cascioli touche quant à lui une copie d'un pianoforte Walter & Sohn de 1805 (réalisée par Paul McNulty). Sayaka Shoji évoque ses recherches, sa réflexion sur le style mozartien ; sa quête d’« une vérité qui vient du cœur ».
La violoniste interprétera le 5e Concerto de Mozart avec le Prague Philharmonia, sous la direction de Marc Coppey, le 17 avril au Festival de Pâques de Colmar, et la 1ère Sonate de Brahms avec Stephen Kovacevich (2), le 20 avril dans le cadre des Coups de Cœur de Martha Argerich à Chantilly.(3)

Cette intégrale des sonates pour violon et piano de Mozart, en cours, fait suite à une intégrale des sonates de Beethoven (pour DG), où vous étiez déjà au côté de Gianluca Cascioli. A cette occasion, vous n’aviez pas joué sur des instruments d’époque. Quels avaient été vos questionnements au moment de cet enregistrement ?
Nous nous étions beaucoup interrogés sur l’interprétation, le style, mais pas sur les instruments. Gianluca jouait un piano moderne. Mais nous avions étudié, déjà à l’époque, beaucoup de traités historiques.
Vous avez entamé il y a plusieurs années une démarche de recherche à propos de l’interprétation de la musique baroque et classique...
Oui, j’avais 19-20 ans, quand j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet, à l’époque où j’étudiais à Cologne : le portes d’un univers où il y a tant à découvrir s’ouvraient ... J’ai approfondi les choses au moment de la pandémie de covid ; je disposais de tout le temps nécessaire ... (4) Pour autant, je ne considère pas que je suis deux chemins différents, en jouant de la musique sur du boyau pour certains répertoires, avec des cordes en métal pour d’autres. Je ne me considère pas comme une interprète baroque. Je suis juste musicienne, et je suis curieuse. J’aimerais bien savoir comment on jouait certaines musiques « à l’époque ». Je veux rendre la musique vivante à notre époque.
Quand j’avais 20 ans, Deutsche Gramophon m’a demandé d’enregistrer des concertos de Bach. J’ai refusé. Je n’étais pas sûre de pouvoir interpréter comme il convenait cette musique. Je pouvais bien sûr jouer les notes, mais je me posais la question du style. Je voulais attendre pour être vraiment sûre de ce que je pourrais faire dans ce répertoire. Je voulais rester honnête.
« Une interprétation musicale dépend de son époque. De son environnement artistique, plastique.»

Comment avez-vous choisi de mettre en regard ces trois sonates de Mozart ?
Ce sont des sonates que nous avions beaucoup travaillées avec Gianluca Cascioli. Il y en a deux en si bémol majeur, KV 378 et 454, en trois mouvements, qui complètent bien la Sonate K 301 en la majeur, en deux mouvements seulement, qui est très différente.
Avez-vous réécouté de grandes interprétations du passé, au moment d’enregistrer ces sonates ?
Bien sûr. J’ai grandi avec l’interprétation d’Arthur Grumiaux et de Clara Haskil. De même qu’avec leur interprétation des sonates de Beethoven. Mais naturellement, ce que nous faisons est tout autre. Une interprétation musicale dépend de son époque. De son environnement artistique, plastique. En fait, nous cherchons plutôt « une » vérité, plutôt qu’une authenticité, qui est questionnable, et qui appartient en propre à chaque auditeur. Une vérité qui vienne du cœur. Ces sonates de Mozart sont d’une richesse, d’une émotion, d’une inventivité extraordinaires.
Dans ce disque, vous interprétez la Sonate KV 454, que vous aviez déjà enregistrée avec Menahem Pressler en 2014 (pour DG) – sur instruments modernes. Un disque Mozart, Schubert, Brahms, absolument merveilleux, qui nous révèle une interprétation très différente de celle d’aujourd’hui. Pas seulement à cause des instruments.
Je dois vous avouer que je n’écoute pas trop mes enregistrements après leur parution, l’important est d’être sincère au moment de l’enregistrement. Et puis on évolue, on change, on découvre des réalités. Je me suis depuis posé beaucoup de questions de style. Mais de toute façon, cette musique est tellement dramatique, émouvante, qu’elle peut être jouée sur des instruments différents.
Cela étant, il me paraît plus naturel de trouver le style mozartien avec des instruments d’époque qu’avec des instruments contemporains.

« Quand j’écoute, ou que je joue de la musique, j’ai toujours en tête des images très fortes. »
Nous parlions de Menahem Pressler. Pour évoquer un autre grand pianiste, vous jouerez le 20 avril prochain à Chantilly la 1ère Sonate de Brahms avec Stephen Kovacevich. Comment se passe la relation musicale avec de tels maîtres ?
J’ai joué il y a quelque temps la 10e Sonate de Beethoven avec Stephen Kovacevich, et il s’est passé quelque chose de passionnant, de très spécial. Je l’admire beaucoup. En général ces maîtres sont très généreux, très gentils. Ils peuvent être bien sûr extrêmement exigeants, comme Menahem Pressler, avec lequel j’ai effectué une tournée se sept concerts. Parfois, notre relation s’assimilait plus à un cours. Mais nous avons eu de riches moments d’échange, de discussion. C’était très fort.
Parlez nous maintenant de votre travail de plasticienne, que vous avez initié depuis une vingtaine d’années.
Quand j’écoute, ou que je joue de la musique, j’ai toujours en tête des images très fortes. Je veux rendre cela visible pour l’auditeur. Je veux partager ce que je perçois. Mais je ne veux rien imposer. J’ai découvert l’art video au Centre Beaubourg, et dans les galeries alentour. J’ai rencontré le vidéaste Pascal Froment, et nous nous sommes tout de suite compris. Nous avons travaillé en particulier sur une version pour violon et piano des préludes de Chostakovitch.
Propos recueillis par Frédéric Hutman le 7 février 2025

> Les prochains concerts de violon en France <
Plus d'infos sur Sayaka Shoji : sayakashoji.com/
(1) www.concertclassic.com/article/sayaka-shoji-joseph-bastian-et-lorchestre-national-dile-de-france-la-philharmonie-un-ange
(2) www.festivaldepaques-colmar.com/programme-2025-43.html
(3) chateaudechantilly.fr/evenement/les-coups-de-coeur-de-martha-argerich/
(4) sayakashoji.com/interpretation-of-18th-century-music/
Photo © Sacha Gusov
Derniers articles
-
07 Avril 2025
-
07 Avril 2025Alain COCHARD
-
07 Avril 2025François LESUEUR