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Claude, drame de l’enfermement - Une interview de Thierry Escaich
Ambitieux projet que celui de Serge Dorny à l’Opéra de Lyon avec une trilogie lyrique consacrée aux tensions Justice/Injustice : outre l’incontournable Fidelio, Le Prisonnier et Erwartung, tous trois dirigés par Kazushi Ono, il suscite avec Claude, inspiré d’une nouvelle de Victor Hugo, un énorme intérêt, car l’affiche, prestigieuse, marie Robert Badinter, pour le livret, Olivier Py, pour la mise en scène et Thierry Escaich pour la musique, sous la baguette du baroqueux Jérémie Rhorer. Admirables pans de murs mobiles manœuvrés par les prisonniers pour évoquer la terrible prison de Clairvaux, musique sombre et obsédante, zébrée d’éclairs mélodiques lumineux, l’œuvre promet d’être bouleversante. Pour Escaich, c’est le premier pas dans le monde de l’opéra. Il nous en livre quelques clefs.
Quelle est la genèse de ce projet ?
Thierry Escaich : Il vient de Robert Badinter, dont le Claude Gueux de Victor Hugo est un des livres de chevet. Il a même porté son combat dans les années 70. Claude, préfiguration de Jean Valjean, ouvrier licencié, vole un pain pour nourrir sa famille. Emprisonné à Fontevraud, ici remplacé par Clairvaux, il s’y lie d’amitié avec un autre prisonnier, dont le directeur de la prison le sépare. Il tue le directeur et est guillotiné. Le thème est apparu à Badinter comme porteur d’une transposition lyrique. Pour ma part, j’étais en contact avec Serge Dorny, qui souhaitait me commander un opéra. Nous avions envisagé plusieurs possibilités quand celle-ci s’est imposée. Robert Badinter avait déjà écrit des pièces de théâtre, mais faire un livret d’opéra était nouveau pour lui. En cherchant dans les archives, il a trouvé la preuve de l’homosexualité de Claude Gueux, esquissée par Hugo, qui ne pouvait évidemment en faire état à l’époque. Ceci permet de donner une note un peu sensible à ce sujet terriblement dur, et ajoute à l’injustice sociale la privation d’amour.
D’autres thèmes vous auraient tenté ?
T. E. : Je n’ai pas de thèmes de prédilection, mais des auteurs, comme Zweig, Pasolini, Koltès, dont j’ai déjà essayé de mettre certaines pièces en musique. Leur forme me plaît. Et pour un opéra, il me fallait un certain type de dramaturgie, autour d’un grand conflit psychologique. Ma musique en a besoin, et je ne me serais pas contenté d’un opéra en tableaux. Je peux faire évoluer le discours vers un sommet de tension. J’ai essayé de faire entendre le rythme des machines, caractéristique de l’univers carcéral où on travaillait quatorze heures par jour en atelier. J’ai aussi glissé des périodes de rêve, et varié les styles musicaux pour créer une diversité, tout en restant fidèle à une couleur musicale qui est celle de l’enfermement. Le drame monte vers une explosion de joie vulgaire, tandis que deux personnages en avant-scène le commentent, comme si c’était la voix d’Hugo.
Comment se structure l’opéra ?
T. E. : En fait, il est en deux grands pans : le premier jusqu’à la scène VII, où Claude et son ami Albin sont séparés, ce qui déclenche le drame. Là l’orchestre s’arrête, puis, inexorablement, se remet en marche, jusqu’à l’exécution finale. Elle n’est pas montrée, seule la guillotine l’est. Mais tout reste en suspens, sans finir sur une note appuyée, ni vraiment triste. Il y a une sorte de bal en arrière plan, une mélodie chantée par une petite fille, et tout s’achève très lentement, pianissimo. Comme la phrase sur laquelle se clôt le livret : « une fois la justice en marche, qui aurait pu l’arrêter ? ».
Quel type d’orchestre avez-vous adopté ?
T. E. : Tout simplement l’orchestre Mozart, mais en le colorant d’apports assez relevés, comme un accordéon, des percussions dont des bols japonais, et un orgue qui intervient un peu comme un synthétiseur, avec un rôle presque rituel, notamment dans la scène du jugement par les prisonniers, où il font le partage du pain et décident la mort du directeur. Mais l’orchestration demeure dans son ensemble assez classique. Elle est portée par mes œuvres antérieures. J’ai écrit Claude en quelques mois, mais je l’ai mûri longuement, et chaque fois que je voyais Badinter chez lui, autour de son piano, car il est très mélomane, je savais exactement ce que je voulais faire comme musique avant de lui proposer quelque modification du livret pour servir les changements de rythmes, sans lesquels un opéra ne peut fonctionner.
C’est la première fois que vous baignez ainsi dans le monde scénique ? Avez-vous envie d’y revenir ?
Sûrement, maintenant que j’ai poussé la porte. Sans être un obsédé de l’opéra, j’ai toujours adoré l’univers de Berg, notamment dans Lulu, de Strauss avec sa Salomé, et de Britten pour Billy Budd particulièrement. Et j’ai eu la chance, au sein de ce travail en équipe, d’avoir des partenaires remarquables: Olivier Py bien sûr, qui suit fidèlement le découpage de l’histoire et de la musique, avec de superbes idées, Jérémie Rhorer, qui fut mon élève, et le prodigieux Jean-Sébastien Bou, qui s’est totalement incorporé au personnage, au point que je ne vois plus le chanteur en lui mais le héros. Claude l’habite en permanence, dans sa démarche, ses gestes, ses questions. Je ne suis pas coutumier de ce type d’identification !
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 16 mars 2013
Thierry Escaich/ Robert Badinter : Claude (création)
Du 27 mars au 14 avril 2013
Lyon - Opéra
En alternance avec Fidelio, du 28 mars au 12 avril, et Le Prisonnier/ Erwartung, du 29 mars au 13 avril.
www.opera-lyon.com
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Photo : Guy Vivien
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