Beaucoup comptaient sur la présence de Philippe Jordan aux côtés du baryton Roman Trekel et de la comédienne Marthe Keller pour accompagner La Belle Maguelone de Brahms. Par manque de temps sans doute, le chef a préféré laisser le clavier au pianiste Oliver Pohl, partenaire régulier du baryton, avec lequel il a enregistré l'œuvre en compagnie de Bruno Ganz (OEHMS Classics). Mis en musique à partir de 1861, ce cycle sur des textes de Ludwig Tieck, tirés d'un roman chevaleresque lui même basé sur une vieille légende, fournit à Brahms l’occasion d’une contribution à l'apologie romantique du Moyen Age. Il permet également d'alterner prose parlée et chantée et de mettre ainsi sur un pied d'égalité un récitant et un chanteur.

Très bon accompagnateur au jeu souple et coruscant, Oliver Pohl a plus qu'honorablement rempli son contrat. Diseuse au charme inaltéré, Marthe Keller anime chacune de ses interventions avec la sensibilité et la délicatesse que nous lui connaissons, dans cette langue allemande qui coule dans sa bouche comme une source claire. Véritable contrepoint à la densité de ces lieder, sa lecture fait l'effet d'une respiration naturelle dont on attend impatiemment le retour.

Proche dans sa manière d’investir son texte d'un Hans Hotter, un rien raide et discipliné, Roman Trekel manque parfois de rondeur et d’onctuosité pour rendre au personnage de Peter toute sa complexité. Plus à l'aise lors des retrouvailles avec la bien-aimée (« Treue Liebe dauert lange »), que pour exprimer l'amertume due à la séparation (« So tönet dann, schäumende Wellen », où la diction est parfois un peu imprécise), le baryton malgré la rigueur et l'autorité qu'il dégage, ne peut faire oublier la distinction de Fischer-Dieskau avec Richter (Salzbourg 1970/Orfeo), ni la sérénité de Prégardien au côté de Staier (Teldec), mais défend avec puissance cette belle ballade épique.

François Lesueur

Paris, Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, 16 avril 2013

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Photo : www.romantrekel.de