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Le Temps d’Aimer la Danse à Biarritz - Du bon pied - Compte-rendu

Avant tout jugement ponctuel sur tel ou tel spectacle, c’est l’ensemble de la manifestation de Biarritz Culture qu’il faut saluer, pour son foisonnement, sa fraîcheur, et l’étincelle qu’elle allume dans la curiosité des spectateurs, qu’ils soient balletomanes - engagés ou enragés -, ou simples curieux, notamment lorsqu’ils se promènent du côté du Casino et se font happer par la grâce des silhouettes offertes à eux sur des podiums de fortune, au milieu des surfeurs et des oiseaux de mer ! Exemple: un brin de hip hop avec Stonny Boyz, précédant une Invitation à la valse mettant en action plusieurs associations locales, avant de passer aux Rencontres Universitaires, où des étudiants de divers horizons se jettent dans la danse, grâce à la résidence que leur offre Thierry Malandain. Emotion : la musique du Bal de Roméo et Juliette de Berlioz explose soudain sur la Grande Plage, et fait tourbillonner un groupe de jeunes gens sur la belle chorégraphie conçue par Malandain pour ce ballet. Le choc d’une surprise, l’envol des âmes autant que des corps. Puis au coin de la rue, voici un danseur italien, un acrobate plutôt, qui avec son cerceau, s’agrège à l’ambiance festive et ouverte du lieu. Il n’est pas au programme, mais celui-ci fait boule de neige, preuve d’une salutaire dynamique.

Au niveau des grandes pointures - en dehors du délicieux soulier de Cendrillon, la dernière œuvre de Malandain donnée en ouverture de festival, dont on a goûté à nouveau la finesse à la fois acidulée et doucement nostalgique, décidément une de ses plus jolies réussites - même contraste édifiant et vivifiant, avec les hauts et les bas inévitables : on a ainsi apprécié le travail de haut vol du brésilien Samir Calixto et de sa partenaire Irena Misirlic, dans un pas de deux hétéroclite sur les Quatre Saisons de Vivaldi. Formidable présence physique, gestique résumée en quelques gestes répétés avec beaucoup d’engagement et absence de véritable concept dramatique ont à la fois séduit et déçu pour ce pas de deux brutal, néolithique pourrait on dire. Autre choc, Tragédie d’Olivier Dubois et de sa compagnie COD, qui a perdu de son potentiel de fascination depuis sa création sous les étoiles d’Avignon en juillet 2012. Décidément la quête de l’homme par la danse passe par ses origines les plus lointaines cette année, car voici franchement le paléolithique en pleine action. Que les personnages soient intégralement nus ne touche que peu, car l’on sait combien la chair est triste lorsqu’on n’en fait rien sinon la montrer à cru. A peine des danseurs, juste dotés d’anatomie normales et d’une faculté à gérer le répétitif sans accroc mais sans aucune prétention esthétique, ils marchent, marchent et marchent encore, se croisant au son d’un unique battement lourd et obsédant. Puis se frôlent, se cognent, s’évitent, s’agglutinent, bref dessinent une sorte de société, un peu pompeusement baptisée par l’auteur « précieuse transcendance d’une communauté humaine ». L’œuvre n’est pas dénuée d’intérêt, certes mais son concept, même s’il est géré parfaitement, a un air de déjà vu, notamment chez l’ex avant-garde américaine. On en ressort avec le sentiment d’avoir vu un Sacre du printemps sans musique et sans chorégraphie, mais avec incontestablement une puissance de frappe obsessionnelle.

Inutile de préciser combien on est là aux antipodes de la Terpsichore (photo) de Béatrice Massin, sur des pages de Rebel et Haendel (lequel avait écrit la partition pour Marie Sallé, grande ballerine de l’époque), que la talentueuse chorégraphe créa l’an passé à la demande du Festival de Halle et du Centre de Musique baroque de Versailles. Une heure tout en dentelles, mais non en maniérisme, où la finesse des pas d’école se dégage de tout excès expressif pour ne garder que des axes d’intériorité à la limite de l’abstraction. Un art de la ciselure appuyé sur des contrastes de couleurs, comme Béatrice Massin aime à en jouer, même si les costumes ne sont que des indices de l’époque. On est sous le charme de cette épure, à laquelle il ne manque, pour un festival polyvalent et grand public, qu’un soupçon d’introduction et d’explication préalable par la chorégraphe : le public, de ce fait, aurait pu mieux décrypter les saveurs de cette haute gastronomie chorégraphique.

Contrastes encore avec le formidable Foofwa d’Imobilité (né Frédéric Gafner, et fils d’une ballerine fameuse, Béatrice Consuelo), qui cultive le mystère mais ne se contente pas d’approximations, ou du spectaculaire Nuits de Preljocaj, qui a ici joué sa carte la plus accrocheuse, avec des langueurs de salon mauresque, bizarrement étrangères aux interrogations âpres et aux provocations angoissantes qui l’ont jeté dans l’arène de nos essentiels. Tel est ce festival courageux, qui tente de donner à la danse d’aujourd’hui un vaste champ d’expression. Peut-elle tout dire ? L’essentiel est qu’elle le dise bien.

Jacqueline Thuilleux

Biarritz, Festival Le Temps d’Aimer la Danse, du 6 au 15 septembre 2013

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Photo : Jean-Pierre Maurin
 

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